Rencontre avec Lionel Gonzalez du Balagan’ retrouvé

Samedi 10 mars, nous étions quelques un.e.s à nous retrouver à la Librairie Floury pour un temps d’échange en compagnie de Lionel Gonzalez, co-fondateur avec Gina Calinoiu du Balagan’ retrouvé. La discussion fut l’occasion pour lui de revenir sur le processus de création de Demain tout sera fini 1, pièce pour quatre acteurs qu’il a adapté du Joueur de Dostoïevski. Morceau choisi: un commentaire sur le travail autour de l’adaptation du texte.

 

Il y  a une dizaine d’années maintenant, il a eu toute l’apparition des collectifs, des écritures de plateau. Ce qui n’était pas du tout une chose à la mode … Il y a eu un retour à la question de l’improvisation de l’écriture collective. Je dis retour car je pense que c’est une chose qui avait été présente dans les années 70 et puis plus dans les années 80-90. Enfin en tout cas moi quand j’ai commencé le théâtre à la fin des années 90, c’était quelque chose qu’on voyait très peu, à part au théâtre du Soleil où c’était l’époque où Mnouchkine était beaucoup revenue – elle avait enchaîné 3 ou 4 spectacles qui étaient pas à partir d’auteurs (parce qu’elle avait eu de grande période sur les auteurs, sur Shakespeare, sur Molière, sur les antiques), là c’était la période où elle avait fait Et soudain des nuits d’éveil, Tambour sur la digue et ensuite toute sa grande saga sur les réfugiés, Le dernier Caravansérail… Et donc on a été tout un certain nombre de collectifs à apparaître au début des années 2000 et à recentrer notre recherche sur la question de l’acteur et du jeu, et moins sur la question de l’auteur.

Notre question s’était de revenir à l’acteur et au jeu, et de ce dire finalement le plus important c’est ça. Or la meilleur façon de créer du jeu c’est de partir d’un geste d’acteur, de mettre des acteurs sur un plateau et de créer un spectacle autour de ça. Et on a fait comme ça beaucoup de spectacles. J’ai fait partie d’un collectif qui s’appelait d’Ors et déjà avec lequel on a fait notamment deux spectacles, Monsieur Tralalère et Notre terreur qu’on avait joué au Garonne.

Mais on a éprouvé une certaine limite je trouve dans notre travail, qui était qu’on avait du mal à créer de la densité dans l’écriture… Et moi j’ai eu envie après ça, et c’est notamment lié à une rencontre que j’ai faite avec un metteur en scène russe qui s’appelle Anatoli Vasiliev, que j’ai rencontré en 2007 et avec qui j’ai découvert l’école russe et notamment cette chose que Stanislavski a inventé, « l’étude », c’est-à-dire improviser sur des textes. Dans un premier temps, dans une première phase de travail, parce qu’il trouvait que les acteurs manquaient beaucoup d’authenticité, il a eu l’idée d’utiliser l’improvisation comme outil pour les acteurs soient spontanés, pour qu’ils réagissent comme ils réagiraient dans la vie et pas par rapport à des clichés, etc….

Et le renversement qu’opère Stanislavski c’est de dire « et si le verbe s’était la surface des choses », ce que j’appelle le visible, mais ce visible il n’est intéressant que quand il y a tout un invisible – c’est un peu l’image de l’iceberg : le texte serait en fait le sommet de l’iceberg mais que tout le travail de l’acteur c’est de reconstruire l’iceberg. … C’est justement une façon qui permet d’oublier le texte. C’est pour cela que je parle d’invisible parce qu’on dégage de la scène une structure qui était comme cachée sous le texte. Il faut la repérer, la révéler, la redécouvrir et on oublie le texte et on repart de cette structure et on ré-improvise un nouveau texte.

Et ce que j’ai découvert en commençant à pratiquer ça, c’est que les improvisations qu’on pouvait faire de cette façon-là étaient à mes yeux beaucoup plus riches. On avait beaucoup plus de matière que dans les improvisations que nous écrivions nous-même dans les créations collectives que l’on faisait parce que finalement ce que les auteurs ont de plus riche n’est pas forcément le texte qu’il ont laissé. Mais justement tout l’invisible qui a fait que chez eux ça s’est révélé de cette façon-là dans leur geste d’écrivain. Réutiliser toute cette matière invisible comme matière première pour nos improvisations c’est très riche, ça produit beaucoup de jeu, beaucoup de vie.

 

Propos enregistrés à la Librairie Floury le samedi 10 mars 2018. Transcription Adèle Cassigneul

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