Rencontre-entretien avec Tiago Rodrigues « BY HEART »

By Heart a été créé en 2013, joué plus de 180 fois en France comme à l’étranger puis repris au Théâtre Garonne en février 2019. À cette occasion, les étudiant.es du Master Création littéraire ont organisé une rencontre avec le metteur en scène et comédien Tiago Rodrigues (également directeur du Théâtre National Dona Maria II de Lisbonne).

Entretien réalisé le 21 février 2019 par Loïc Abrassart, Yassin Ben Moumène, Perrine Cabrit, Samuel Dutacq, Bérénice Marsaud dans le cadre d’une collaboration avec le Master Création littéraire de l’Université Jean Jaurès à Toulouse.

Extraits de cet entretien au long cours

Que signifie apprendre par cœur aujourd’hui, dans un monde où tout se conserve sur internet, et où tout est numérisé, dans lequel les mémoires sont démultipliées et accessibles en permanence ? S’agit-il de former des brigades de lecteurs et de lectrices pour sauver les textes, comme dans Farenheit 451 de Ray Bradbury ?

Tiago Rodrigues : Très belle question! Avec By Heart, je n’essaie pas de proposer l’apprentissage par cœur comme un programme politique. Ce serait certes un programme politique intéressant  ! Mais ce n’est pas le cas. Je ne propose pas d’apprendre davantage par cœur parce que cela va nous sauver ou nous rendre plus libres. Ce que j’essaie de faire, c’est de raconter des histoires, qui sont des histoires du XXè siècle, du rapport de l’apprentissage par cœur avec des totalitarismes. Des totalitarismes politiques, bien sûr, mais aussi les totalitarismes de l’ignorance, de la peur, et même les totalitarismes biologiques : vieillir, mourir, devenir aveugle… Avec ce spectacle, j’essaie de donner un récit : c’est un spectacle daté en ce sens-là, c’est un spectacle qui parle des histoires du passé, du patrimoine, de la mémoire. Ma proposition est que l’exercice de mémoire, qui n’est pas un exercice du passé – c’est toujours un exercice au présent, c’est notre action sur le passé – peut consoler et offrir la beauté : « de la beauté et de la consolation », comme le propose George Steiner dans sa conférence du même nom.

Si l’on parle de la pensée autour du spectacle, bien sûr qu’il y a une différence immense entre l’accès à l’internet et la transmission. L’archive, ce serait la capacité de dire le Sonnet 30 de William Shakespeare comme ça, facilement, à l’aide d’un téléphone portable relié à internet, et on pourrait le dire très vite. La transmission, c’est d’essayer de la dire parce qu’on l’a appris, et d’oublier un mot, le remplacer, ne pas faire la bonne rime. Ça, c’est la transmission. En fait, c’est comme ça que les pièces de Shakespeare ou les tragédies grecques arrivent jusqu’à nous : avec des morceaux coupés, avec des parties altérées par les traductions du grec au latin, du latin au français, etc. Cette transmission, c’est la civilisation. Je ne suis ni contre internet ni contre les encyclopédies, ni contre l’archive. Mais la place du théâtre n’est pas celle de l’archive : elle est celle de la digestion de l’archive en vue de sa transmission.

Moi, j’ai une obsession de l’archive et du document, de l’histoire, non pour le rendre disponible, mais pour me nourrir, pour avoir de bonnes raisons d’être ensemble avec un public dans une salle, et là vivre ce phénomène du présent qui est l’exercice de la mémoire et l’exercice de la transmission. Ça, c’est le théâtre.

Dans votre spectacle, vous faites apprendre le sonnet 30 de Shakespeare au public. Plus que de transmettre le goût de la littérature, est-ce que votre objectif est d’initier le public au par cœur, de leur apprendre à apprendre, de leur apprendre à transmettre ?

Tiago Rodrigues : Il y a plein de choses qui se passent avec ce spectacle qui ne sont pas dans la liste des urgences et des désirs qui me font faire le spectacle ou qui me l’ont fait créer. Ce sont des conséquences. Par exemple, j’ai eu le retour de plein de monde qui avait vu le spectacle, qui ont commencé à apprendre par cœur avec plus de régularité qu’avant. À Vienne, le groupe de dix personnes qui était sur scène étaient des inconnus les uns pour les autres ; maintenant ils se sont constitués en groupe de lecture de poèmes et d’apprentissage par cœur et ils se rencontrent tous les mois depuis trois ans pour apprendre des poèmes par cœur.

Une des raisons d’être de ce geste-là, celui d’inviter le public sur scène, c’est que je voudrais rendre visible, palpable, un peu plus concret le phénomène de transmission, qui normalement se passe dans un spectacle de théâtre mais qui est invisible. Je voudrais rendre visible tous ces fils invisibles de la transmission entre ma grand-mère et moi, ce qu’elle m’a apporté, la transmission entre Pasternak et moi, et après ma grand-mère, et après Bradbury. En pensant à l’histoire de Nadejda Mandelstam [qui invitait des personnes dans sa cuisine pour qu’elles apprennent par cœur des poèmes de son mari pour contourner la censure], je me suis dit : Nadejda m’a offert la mise en scène, le décor, et je vais inviter dix personnes sur scène comme elle l’avait fait dans sa cuisine pour apprendre ce poème. Pas pour les mêmes raisons, pas parce que tous les poèmes d’Ossip Mandelstam étaient confisqués dans le cas de Nadejda, mais parce que ma grand-mère ne peut pas les dire aujourd’hui, elle ne peut pas être ici à Toulouse avec vous pour dire son poème. Alors la seule façon de rendre visible ma grand-mère, c’est d’enseigner le poème à quelqu’un d’autre, pour aussi rendre visible, avec ce processus d’apprentissage, l’existence de ma grand-mère. Le groupe sur scène, à la fin du spectacle, devient la voix de ma grand-mère. Ça, c’est l’exercice de transmission du sonnet à ma manière. Je n’essaie pas d’expliquer ce que veut dire Shakespeare avec ce sonnet, mais j’essaie d’expliquer ce qu’est ce sonnet pour moi, à travers ma grand-mère.

Je veux juste raconter mon histoire, avec son importance. Mais après il y a les conséquences des choses qu’on fait. On doit être conscient d’une forme éthique, mais je crois qu’en tant qu’artiste on ne doit pas complètement les contrôler. Il y a plein de choses qui relèvent d’un programme esthétique, d’un programme politique dans ce spectacle, que j’ai apprises a posteriori, à travers le public et les rencontres comme celles-ci, et j’adore cela, parce que ça m’aide à penser.

On a plutôt l’habitude d’apprendre par cœur seul, pourquoi le faire ici en collectif ? Est-ce que cela signifie que la responsabilité individuelle ne peut que se reposer sur le collectif ? En même temps que chacun apprend sa partition, chacun est soliste, mais il existe avant tout une partition collective ?

Tiago Rodrigues : Dix personnes montent sur scène et sauf exception – il arrive parfois que deux personnes se connaissent –, on peut dire que ce sont dix individus qui n’ont pas une relation autre que celle  d’une salle de théâtre. Des individus ont traversé la ville, peut-être sous la pluie, pour se retrouver dans un théâtre, ils ont payé leur place pour être dans une salle qui est parfois un peu trop chaude ou trop froide, pour côtoyer des inconnus, sans savoir si ce qu’ils vont voir sera agréable ou non, s’ils vont s’ennuyer ou s’endormir : ils payent pour le mystère de ce qui va se passer. Et sans contrôler leur temps : « je paie, prends mon temps et je regarde ». Ce contrat-là, que cela soit possible en 2019, qu’il y ait du monde encore qui vienne au théâtre, je trouve cela vraiment révolutionnaire. Plus qu’avant. Au XVIIIè ou au XIXè siècle, il n’y avait ni Netflix ni les ordinateurs, ni même le cinéma. Mais aujourd’hui, alors qu’il y a tant de choses intéressantes à portée de main, sur son téléphone ou sa télévision, venir au théâtre est un geste politique très fort.

Je voulais que sur scène il y ait cette sensation : on est là et on est regardés par nous-mêmes. On se laisse regarder dans la même situation que ceux qui habituellement sont là, sur scène. À travers le geste d’apprendre par cœur, les mots, l’écoute, la situation de tenter ensemble, de construire une espèce d’architecture d’idées qui est un sonnet, je voulais qu’il y ait un collectif regardé par un autre collectif, qui regarderait ses ambassadeurs. Dans la salle, ce sont en quelque sorte les supporters : ils s’identifient, ils encouragent, mais ils peuvent aussi se dire « allez, tu peux le faire, ce n’est pas si difficile ! » (rires). Moi, je suis un peu l’arbitre, ou le chef d’orchestre, si l’on veut. En tout cas, j’ai créé les conditions pour faire naître ce collectif, mais il est construit par ces dix personnes et les autres qui regardent.

Quand on dit le texte d’un auteur sur scène, ce texte est présent, invisible matériellement mais présent, et il commence à nous rassembler, ou à nous diviser, mais il créée quelque chose de l’ordre de l’organisation entre êtres humains qui n’existait pas avant de venir au théâtre. Les spectateurs qui viennent sur scène n’ont pas le texte en format papier, on passe par l’oral pour apprendre, car si on avait ce support de papier, cela deviendrait un apprentissage individuel. Quelquefois, il y a quelqu’un, sur scène ou dans le public, qui souffle, qui aide, et c’est une solidarité qui se créée et qui ne pourrait pas exister si chacun était seul face à la page. Et s’il n’y a pas de papier, il y a plus d’erreur, alors la vulnérabilité de la mémoire, la facilité de l’oubli sont rendues visibles. Cela, je l’ai appris au fur et à mesure, en jouant.

Pourquoi tenez-vous à jouer ce spectacle vous-même, plutôt que de le confier à d’autres comédiens, ce qui pourrait aussi être un acte de transmission et permettrait de toucher un plus large public ?

Tiago Rodrigues : Je ne peux pas donner cette histoire à quelqu’un d’autre. Tous les spectacles que je monte ont pour moi une dimension très personnelle. Mais avec By Heart, la dimension personnelle va plus loin, elle est autobiographique, généalogique. La dimension personnelle, ce n’est pas seulement le point de départ – pourquoi j’ai fait la pièce, l’expérience perpétue ma grand-mère –, mais c’est aussi lorsqu’elle est jouée. Ce n’est jamais professionnel. Dans ce spectacle, la dimension personnelle est tellement vitale et profonde que j’oublie qu’on fait du théâtre. Ce n’est pas seulement le fait de parler de ma grand-mère, c’est également le rapport avec les dix personnes qui sont sur scène. S’il y a quelqu’un qui veut apprendre mais qui a vraiment du mal, je peux arrêter le spectacle pendant vingt minutes, sortir avec cette personne pour faire une pause, apprendre avec moi dans les loges et revenir sur scène. Je l’ai déjà fait.

J’ai publié le texte de By Heart (Éditions Les Solitaires Intempestifs) sans penser que ce serait un texte qui serait joué par d’autres, mais parce que je pense que c’est un texte qui peut être lu. On peut le lire, on peut l’écouter mais, joué par quelqu’un d’autre, ce ne serait pas le By Heart que je veux offrir. J’ai joué la pièce 180 fois, ce qui veut dire 1800 personnes qui ont appris le sonnet de Shakespeare sur scène avec moi, ce qui est déjà pas mal !

Comment avez-vous réfléchi la forme du spectacle ? Est-on dans le registre du théâtre ou d’une forme hybride ?

Tiago Rodrigues : Pour moi, c’est très clairement du théâtre. Il y a un personnage, une fiction, une intrigue, différents niveaux de lecture, des règles de jeu, une dramaturgie… tous les ingrédients nécessaires au théâtre sont présents. Bien sûr, By Heart a l’apparence d’être à côté du théâtre, mais c’est le cas de tous mes spectacles. Le grand décor de By Heart, qui est très riche visuellement, c’est qu’il y a dix personnes qui changent à chaque représentation, qui sont incontrôlables, dix corps qui ne sont pas maîtrisés, sans discipline de la scène, sans préoccupation constante de comment être vus, ou alors trop conscients d’être vus, ce qui les amène à des comportements étranges. Cette apparence de simplicité fait qu’on a parfois la sensation parfois d’être au moment de la répétition, avant que la technique arrive, et cela me plaît beaucoup. Mais je n’ai aucune envie de faire quelque chose d’autre que du théâtre.

L’oralité a quelque chose de mouvant : les voix, les tons, le souvenir même d’un texte peut-être déformé, et la traduction participent d’un travail d’interprétation qui change le texte. N’y-a-t-il pas ambivalence dans ce souci de préserver la mémoire d’un texte et le fait de passer pour cela par le « par cœur », le corps, l’humain qui est faillible et qui ne pourra peut-être pas transmettre exactement le texte original ?

Tiago Rodrigues : Je pense qu’il n’y a pas d’ambivalence ni de contradiction. Cela renvoie à ce que je disais auparavant sur les questions d’archive et de transmission. Ma mission n’est pas de faire arriver Shakespeare à 2019. Si je le garde et qu’il est détruit, il arrivera, peut-être déformé, mais il arrivera. Et comme tous les grands textes du passé, il nous parviendra un peu différent. C’est même génial qu’ils soient différents, à cause de la traduction, de la transmission, de toutes les erreurs commises au moment de leur apprentissage. Je ne veux pas dire que Shakespeare ne doit pas être imprimé correctement dans des manuels scolaires. Mais qu’est-ce que c’est « correctement » ? C’est Charles-Marie Garnier ou Yves Bonnefoy ? Il y a plusieurs traductions en français. En portugais également, deux traductions récentes sont admirables. Alors, on n’imprime que l’original ? Est-ce que l’original nous sert, à vous Français, à nous Portugais ? Est-ce qu’il faudrait apprendre l’anglais pour apprendre Shakespeare en anglais ? Mais est-ce que les Anglais comprennent Shakespeare plus facilement ? Non, eux aussi ont besoin de traduction, car c’est un texte du passé, archaïque, baroque. La perfection du texte original de Shakespeare, je pense que même, lui s’en ficherait.

Vous écrivez qu’apprendre par cœur, c’est « avoir en soi des occupants discrets qui habitent ma mémoire et qui peuvent être réveillés à n’importe quel moment ».  L’oral, passant par le corps, transmettrait-il davantage la mémoire que ne le ferait l’écrit, en donnant une « présence » au texte ?

Tiago Rodrigues : Quand je parle d’habitants discrets, c’est une sensation que nous pouvons tous avoir, par exemple avec des chansons d’enfance. On ne les sait plus, ou plutôt on pense qu’on ne les sait plus, et à un moment quelqu’un dit une phrase qui rime avec un vers… et elle est là (Tiago Rodrigues chantonne une comptine portugaise) : ça revient soudainement. Joseph Brodsky, dans un essai sur la poésie, parle de la naissance de la poésie comme mnémonique, comme une stratégie pour apprendre par cœur. C’est une très belle spéculation de Joseph Brodsky : pendant très longtemps, l’humanité usait de la poésie comme quelque chose d’utilitaire, et la poésie en tant qu’art commence à se développer quand quelqu’un a regardé une mnémonique et a dit « et si j’essayais de garder en mémoire quelque chose qui ne sert à rien ? ». Une émotion, une mémoire, un événement, mais pas quelque chose d’utile. Il dit que jusque là c’était juste un crayon, et que d’un coup on l’utilise pour dessiner une forme qui n’existe pas dans la nature, et que la poésie a continué à se développer, mais toujours comme mnémonique, pour encapsuler quelque chose de plus large, pour créer une mémoire d’une petite chose dans un ensemble plus large. Il dit que c’est ce que continue à faire la poésie aujourd’hui : des capsules d’un monde. dans chaque poème on encapsule un monde et on le garde. A la fin de cet essai, il explique que la preuve que la poésie est encore faite de ces capsules mnémoniques, c’est que pour beaucoup d’entre nous, un poème appris pendant l’enfance, c’est peut-être les derniers mots qui sortent de notre bouche, quand la mémoire s’en va. C’est ce moment où ma grand-mère ne me reconnaît plus, mais sait encore dire non seulement le sonnet 30 de Shakespeare, mais plusieurs poèmes de son enfance.

Vous utilisez plusieurs langues dans votre spectacle (le portugais, le russe, le français, l’anglais, le néerlandais…). Vous parlez de l’appropriation des mots dans votre spectacle, une appropriation qui peut amener une modification de la forme mais pas du fond, comme lorsque vous citez le passage où Steiner parle, dans sa langue, d’une « maison intérieure très bien décorée » qui renvoie à l’un des sens du mot « decorar » en portugais et qui veut dire apprendre par cœur, justement. Est-ce qu’à travers ce spectacle vous faites l’expérience d’une langue commune, une langue commune qui existerait derrière les différentes langues et les différentes appropriations ?

Tiago Rodrigues : J’ai créé la pièce en portugais, en novembre 2013, et tout était en portugais, à part le sonnet 30 de Shakespeare, au début, lorsque je raconte l’histoire de Pasternak. J’ai pensé que c’était important d’entendre l’original une fois : When to the sessions of sweet silent thought, I summon up remembrance of things past, et je dis tout le poème en anglais. Je l’ai écrit en français un an après, pour le jouer en France, car je préfère l’imperfection de ne pas maîtriser votre langue plutôt que vous ayez à lire les surtitres ou les sous-titres. Je préfère la patience qu’il faut avoir avec moi à cause de mon français maladroit plutôt que couper ce rapport immédiat. Lorsque je l’ai joué en français pour le première fois, je me suis dit que je devais garder le sonnet en anglais au début, et tout ce qui était en portugais devait être dit en français. Après quelques représentations, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui manquait à la fin, parce que les personnes sur scène disaient le poème, mais pas comme si c’était vraiment à la place de ma grand-mère. Alors que dans la version portugaise, quand le dernier spectateur dit le dernier vers, en portugais, je ne dis plus rien : c’est la fin. Alors j’ai rajouté le fait de dire le poème en portugais, pour que les spectateurs, sur scène comme dans le salle, entendent le son que pourrait produire ma grand-mère. Quand j’ai créé la version anglaise, j’ai tout traduit en anglais mais j’ai gardé la version du sonnet en portugais pour la fin. Le problème a commencé à se poser quand j’ai joué le spectacle dans des pays dont je ne parle pas la langue : en Allemagne, en Russie, en Grèce… J’ai donc appris le sonnet en grec, en allemand, en russe, en espagnol pour le faire apprendre dans la langue natale des spectateurs. Cette tour de Babel, que j’ai vécue avec ce spectacle ces dernières années, m’a permis de vivre une expérience extraordinaire de rapport d’un comédien avec un même texte : ce ne sont que quatorze vers, mais dit dans cinq ou six langues différentes. 

Mon rapport avec le poème dans les différentes langues permet une chose très importante pour mon expérience de comédien depuis vingt ans : celui de la langue sur scène. En français, je perds en perfection, de cette perfection que je peux avoir en portugais, avec toutes les nuances voulues. Je perds en perfection, mais je gagne en liberté, en possibilité d’inventions sur ces mots. En français, je peux imaginer des choses à propos des mots et les tester, et bien sûr les corriger ensuite, sans compter les occasions de jouer avec les sons. J’aime ce travail de tentatives, d’invention, qui est vital pour moi au théâtre, avec la possibilité que tout se passe mal. C’est une des choses les plus importantes : dans n’importe quel moment théâtral, il ne faut pas essayer de construire quelque chose qui ne peut pas s’écrouler. C’est la gigantesque différence avec la littérature : quand on écrit pour la scène, on doit écrire en laissant de l’espace, car ce que les gens vont faire avec ce texte peut complètement s’écrouler.