Pour la soirée du réveillon, nous recevions William Parker et son quartet. Luke Seabright, contributeur à la revue américaine All about jazz en a profité pour s’entretenir avec cet infatigable multi-instrumentiste de renom, qui est aussi un passeur de savoir engagé et militant. Voici quelques morceaux choisis de leur longue conversation.
Je reste concentré sur ce qu’il y a à faire car il y a pas mal de distractions, surtout en ce qui concerne la politique américaine. En même temps, je reste attentif à ce qui se passe. Pendant quelques mois, on est pas mal descendu dans la rue, on a fait beaucoup de manifestations. J’y joue du gralla, de la bombarde ou d’autres instruments à hanche double. On fait ça depuis novembre, depuis l’élection. Et ça fait du bien. […] Quand c’est vivant, rien n’est neuf ou vieux, ça se passe dans l’instant, et c’est ce que je m’exerce à faire. Je joue avec plein de musiciens différents et en ce moment je ne suis pas vraiment intéressé par l’idée de faire un morceau avec un tel ou tel autre sous prétexte que je n’ai jamais joué avec eux. Je fais ça en famille, je reste auprès de ceux avec qui j’ai des affinités musicales depuis des années parce qu’il est difficile de construire des relations musicales. Je joue autant que je peux, j’échange avec les gens, j’essaie de les aider quand c’est possible, je fais du travail social en musicien, j’écris et je joue. Je manifeste.
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La société essaiera toujours de tuer les artistes. Elle essaiera toujours d’écraser les fleurs, de menotter les fleurs. C’est le propos d’une des pièces de Fernando Arrabal. Elle continuera à essayer car les fleurs donne envie aux gens de penser, de rêver, de fantasmer, de s’éveiller et de protester. Les dirigeants ne voient pas ça d’un bon œil car ils craignent que les gens s’aperçoivent qu’on leur a mis un sac en papier sur la tête et qu’on les pousse vers l’abîme. La raison pour laquelle ils se défient de l’art est que l’art est un éveilleur de conscience. […] Un jour, endormi, j’ai rêvé qu’on donnait une mission à tous les musiciens, à tous les artistes. Cette mission ça pourrait être « atteins des milliers de personnes, atteins 40 personnes, atteins-en 35 ou 100 ». Tu ne sais pas qui sont ces gens ni quand est-ce qu’ils vont venir t’écouter et c’est pour ça qu’à chaque fois que tu joues il faut jouer comme si s’était une question de vie ou de mort, comme si c’était la dernière fois que tu jouais. C’est notre raison de vivre. C’est pour cela que la musique existe.
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Il est important de se rappeler que la musique a une vie en elle-même, qu’on ne la créé pas. La musique te traverse. Il faut s’ouvrir, la laisser passer. Et travailler assez à son instrument pour ne pas l’empêcher de passer en disant « Je suis le musicien, je veux faire ci et ça. » Tu peux le dire en répétition mais quand la musique démarre il faut la laisser vivre sa vie. Sa part intuitive ne s’échappe jamais. Comment apprendre le langage intuitif de l’improvisation ? D’une certaine manière, il est déjà en toi et il faut le rendre à la lumière. Tu peux toujours apprendre tous les accords, toutes les variations et tous les modes, ça n’a rien à voir avec l’improvisation. L’improvisation est un langage intuitif, ça a à voir avec l’intériorité des gens avec qui tu joues. Si tu es ouvert à ce genre de chose, tu peux l’attraper, tu peux t’embarquer avec. Je n’essaie pas de contrôler. Je ne sais pas ce qui va se passer, je ne sais pas dans quelle direction la musique va partir. J’essaie de me préparer, parfois je gribouille deux trois petites choses pour nous lancer. Mais qui sait, on peut aussi changer d’avis. Il faut être à l’aise avec l’inconnu. Parce que l’inconnu est bien plus vaste que ce qu’on connait. C’est un immense continent. On ne s’y ennuie jamais. Inutile de faire en sorte d’être bon ou pas. Il faut être.
Traduction Adèle Cassigneul
A lire: Luke Seabright, « William Parker: Embracing the Unknown », All About Jazz, February 14 2018.