Cynthia Fleury

Rencontre autour de son ouvrage Les irremplaçables (Gallimard)
Rencontre
En partenariat avec Ombres Blanches
20nov
vendredi 20 novembre 2015 / 18:00

"Il ne s’agira pas de devenir une personnalité, une singularité, comme une injonction à la mise en scène de l’ego.
L’enjeu est tout autre : il est relationnel. Se lier aux autres, se lier au sens, se lier au Réel, se lier à l’œuvre, l’éternité des liens comme seule vérité." Cynthia Fleury

"Les Irremplaçables est un livre sur la non-linéarité de la vie (...), un livre de moitié de vie. Mais tous les livres de moitié de vie sont des livres de fin de vie. La mort nous a cernés depuis longtemps, et avant la fin de l’enfance, chacun d’entre nous a fait connaissance avec elle. Peut-être est-ce la définition de la fin de l’enfance ? (...) 
J’ai grandi sous l’œil. Pas celui de la surveillance. Celui de l’attention. L’œil des parents (...). Une liberté qui s’apprend, au front, immédiatement au front, comme les adultes (...). Ce qui était enseigné, c’était de ne s’illusionner ni sur les autres ni sur soi-même, ce qui était enseigné, c’était la solitude, le fait de savoir que l’on est seul, que l’on sera toujours seul.
Et j’ai mis un certain temps à apprendre à admirer, à inventer l’admiration plutôt. [Pour moi], la voie de l’admiration a suivi le chemin d’émergence des irremplaçables, de ceux qui tentaient l’aventure de l’irremplaçabilité, qui allaient au-devant de leur sujet comme on va au-devant du monde. (...) Il ne s’agira pas de devenir une personnalité, une singularité, comme une injonction à la mise en scène de l’ego. L’enjeu est tout autre : il est relationnel. Se lier aux autres, se lier au sens, se lier au Réel, se lier à l’œuvre, l’éternité des liens comme seule vérité."

Nous ne sommes pas remplaçables. L’État de droit n’est rien sans l’irremplaçabilité des individus. L’individu, si décrié, s’est souvent vu défini comme le responsable de l’atomisation de la chose publique, comme le contempteur des valeurs et des principes de l’État de droit. Pourtant, la démocratie n’est rien sans le maintien des sujets libres, rien sans l’engagement des individus, sans leur détermination à protéger sa durabilité. Ce n’est pas la normalisation – ni les individus piégés par elle – qui protège la démocratie. La protéger, en avoir déjà le désir et l’exigence, suppose que la notion d’individuation – et non d’individualisme – soit réinvestie par les individus. "Avoir le souci de l’État de droit, comme l’on a le souci de soi", est un enjeu tout aussi philosophique que politique. Dans un monde social où la passion pour le pouvoir prévaut comme s’il était l’autre nom du Réel, le défi d’une consolidation démocratique nous invite à dépasser la religion continuée qu’il demeure. Après Les pathologies de la démocratie et La fin du courage, Cynthia Fleury poursuit sa réflexion sur l’irremplaçabilité de l’individu dans la régulation démocratique. Au croisement de la psychanalyse et de la philosophie politique, Les irremplaçables est un texte remarquable et plus que jamais nécessaire pour nous aider à penser les dysfonctionnements de la psyché individuelle et collective.

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Cynthia Fleury est philosophe et psychanalyste. Professeur à l'American University of Paris et chercheur au Muséum National d'Histoire Naturelle, elle travaille sur les outils de la régulation démocratique. Elle est membre du Comité consultatif national d'éthique. Et en tant que psychanalyste, elle est marraine d'ICCARRE (protocole d'intermittence du traitement du Sida) et membre de la cellule d'urgence médico-psychologique du SAMU. Elle a récemment publié chez Fayard Les pathologies de la démocratie (2005) et La fin du courage. La reconquête d'une vertu démocratique (2010).