Jean-Claude Milner

Les livres et l’accès au savoir. La question du maître.
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6fév
samedi 6 février 2016 / 17:30 / 2h

Rencontre organisée en collaboration avec Ombres Blanches et La Cause Freudienne / Toulouse Midi-Pyrénées

Depuis le geste fondateur de Platon qui bannit les poètes de la cité, l’écrivain sait que le philosophe se méfie de lui. C’est donc que philosophie et littérature peuvent marcher d’un même pas ?

 Je souhaitais saisir par là une singularité de Barthes. D’un côté, il pose que jamais un philosophe ne fut son maître ; de l’autre, sa langue propre et sa pensée doivent quelque chose à la philosophie. Si l’on veut préciser cette dette, on comprend que la philosophie permettait de mettre en mouvement cette masse imposante qu’était alors la littérature française. […] Si je reprends votre question et si je la généralise, je vous renverrai au paradoxe de Zénon ou la fable du lièvre et de la tortue : il arrive que littérature et philosophie s’engagent dans la même course, mais leurs pas ne se répondent jamais. On sera tantôt sensible au fait que ce soit la même course, tantôt au fait que les pas s’écartent.

Vous-même, en tant que théoricien, entretenez un rapport ambivalent à la fiction, S’il vous arrive de convoquer l’œuvre d’un écrivain, Flaubert par exemple, à l’appui d’une Idée, vous ne semblez pas considérer que la littérature puisse, en tant que telle, produire des vérités.

Je pense exactement le contraire. Pour moi, la vérité est fondamentalement un « effet » de vérité. Or ce sont les œuvres littéraires qui surabondent en « effets de vérité ». Pour employer un terme psychanalytique, je dirais que ce sont elles qui interprètent le sujet, et qui lui font apparaître ce que, laissé à lui-même, il n’aurait Jamais reconnu. C’est en lisant Proust, plus qu’en lisant Spinoza, que j’ai compris la jalousie et pourquoi je doutais de l’amitié… La difficulté, c’est que les effets de vérité produits par la littérature sont rebelles à la citation. Je veux dire qu’on ne peut pas préserver l’effet de vérité quand on fragmente, quand on résume, quand on arrache du contexte. Dès qu’on cite, on fait tomber la littérature du côté de l’ornement. En ce qui me concerne j’essaie d’éviter les ornements. 
Extraits d’un entretien avec Jean Birnbaum (Le Monde 2012)

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