Adrien Degioanni
Hypnagonaute
Hypnagonaute
En quoi la thématique des Hospitalités résonne pour vous avec votre travail artistique, vos préoccupations et votre présence au théâtre Garonne dans cette programmation ?
Depuis plusieurs années, mon travail s’engage dans et avec le sonore. J’affectionne le son pour ce qu’il a de similaire au vivant. Il apparaît, se propage et disparaît. Un autre suivra, jamais exactement le même, ni dans sa forme, ni dans son comportement. Similaire au vivant et, plus précisément, à l’humain ; car tout comme lui, il investit et définit des espaces, pour un temps. À son échelle, le son est habité d’une grande résilience dans sa vaine existence. Et pourtant son absence absolue n’existe pas à nos oreilles, nous le générons, nous le recevons. Le son peut être docile, fragile, hostile… Il est prétexte à parler de nous.
Ce que je cherche dans un lieu, c’est son vide de toute présence. Un lieu, même dépeuplé, n’est jamais réellement désinvesti, il est toujours et immuablement habité par les sons qu’il renferme. Inhérents à tous bâtiments ou espaces – par leur chair atmosphérique, leur squelette architectural – les sons viennent de toutes parts ; et il est bon de se rappeler que, lorsque nous rentrons dans tout bâtiment, tout espace, nous n’en sommes que visiteurs profitant d’une forme d’accueil acoustique, une invitation à entendre. C’est donc très souvent en captant les silences des lieux qui m’accueillent, que je cherche à créer un temps duquel la distorsion du réel (sonore) devient apparition de matérialité poétique.
L'ouïe étant insomniaque, elle façonne en permanence, consciemment et inconsciemment, notre expérience au monde. Hypnagonaute est un terme composé de deux mots, « hypnagogie » et « naute ». L’état hypnagogique est un état de conscience particulier, intermédiaire entre la veille et le sommeil qui a lieu durant la phase de l’endormissement. Le naute, quant à lui, se définit par « celui qui navigue », celui qui explore. Il traverse les frontières, et parfois, en définit de nouvelles. Attitude foncièrement humaine sur laquelle reposent décisions, doutes, perditions et découvertes. Il y a là un glissement de territoire vers l’étrangeté, nous rendant ainsi proprement étrangers pour nous-mêmes.
Mon projet pour cette résidence dans les galeries souterraines du Théâtre Garonne, s’inspire précisément de l’expérience d’état hypnagogique. Métaphoriquement, je me figure ce sous-sol comme subconscient architectural, zone insulaire et isolée où naissent les idées et meurent les secrets. En travaillant avec le naturel fragile des bruits, que l’on nomme donc silences, et des sons de synthèses qui n’ont pas d’équivalent naturel, je souhaite mettre en place un système in situ à partir duquel émergent un ou des environnements sonores nouveaux et transitoires. Laissant les résultats de cette visite pour chacun comme de simples suggestions ou de réelles intimités audibles uniques et ineffables. C’est avant tout la création d’un temps et d’un monde sonore issus du lieu, pour le lieu, aussi fictif que tangible, qui proposera des relations libres entre la perception, la mémoire et l’imagination.
Adrien Degionanni