20 > 22 janvier

CASCADE

Meg Stuart / Damaged Goods

Dossier de presse

CASCADE

Meg Stuart
Damaged Goods [Belgique]

Dans CASCADE, Meg Stuart et sept danseurs examinent comment s'opposer au temps linéaire. Au travers de rythmes et structures complexes, ils lancent leur corps et leur imaginaire dans un nouvel espace temporel, inventent une nouvelle Terre et remettent en équilibre des dénouements inévitables.
Ce jeu de refus et de prise en charge est propulsé par le dérèglement : les ruées et les chutes se succèdent, les corps perdent leurs repères, les principes sont réitérés, suspendus et transformés. Les danseurs, balançant sur le fil de l'incertitude, se demandent quels rêves ils doivent abandonner afin de continuer à rêver, quel corps ils doivent acquérir afin de pouvoir tenir le coup. CASCADE est une capitulation à ce que nous ne savons pas de l'autre, une chute libre dans le temps qui s'effrite.
Le scénographe Philippe Quesne s'engage dans une première collaboration avec Meg Stuart/Damaged Goods. La musique a été composée par Brendan Dougherty.

Danse
20 > 22 Janvier
jeu 20 jan / 20:00ven 21 jan / 20:30sam 22 jan / 20:30
avec La Place de la Danse, dans le cadre du festival ICI&LÀ

durée 1h45
Coproduction / création 2021
CASCADEEntretien

La thématique de CASCADE est, entre autres, le temps. Quelle est la fonction du temps dans la pièce ?

Meg Dans une grande partie de la pièce, c'est comme si les danseurs vivaient « en temps réel ». Pas dans le sens d'une improvisation structurée ; c'est plutôt comme s'ils disposaient de toute une série de possibilités sans savoir quelles formes elles prendront exactement. Ils sont par conséquent dans un état d'hyperprésence. Ils n'accomplissent pas seulement des actions, ils exploitent aussi leur imagination en se demandant : « À quoi mes actions constituent-elles une réaction et que pourraient-elles déclencher ? » Pour être présent, il faut aussi être en rapport avec tous ceux qui vous entourent. C'est comme si on faisait partie d'un tissu, on coexiste dans un espace constant de causes et d'effets. Dans CASCADE, les danseurs ne se contentent pas d'accepter les limitations du temps et ses lois fondamentales ; ils imaginent, créent, mettent à l'essai et occupent différentes chronologies. Cela veut dire que le public doit être particulièrement attentif, car beaucoup de choses se passent en même temps. Ils doivent s'immerger dans la pièce, plutôt que d'essayer de suivre une succession d'événements.

Igor C'est aussi le grand défi de ce spectacle du point de vue dramaturgique. Une organisation linéaire n'a aucun sens, donc la structure de la pièce doit procéder du plateau, pas de moi. En tant que dramaturge j'ai tendance à tout considérer d'une façon linéaire, en tant que structure narrative composée d'un début, d'un milieu et d'une fin. Nous devenons quasiment esclaves de cette obsession et des attentes des autres. Car dans notre imagination à tous, la présence du concept de temps linéaire est très forte, au point même où concevoir un autre type de temps n'est pas facile. Il y a des moments dans la pièce où les danseurs doivent s'accommoder de ces autres dimensions temporelles qui les mettent en mouvement, et des moments où ils les contrôlent. Et c'est là que ça devient héroïque, en un certain sens : comme ils ne sont pas victimes de leur situation, ils apprennent aussi comment la gérer et, au travers de ce processus, ils acquièrent certaines capacités. C'est une entreprise en temps réel, dont la folle ambition consiste à saisir réellement l'immensité du temps. On y échoue. Mais on recommence.

Meg On a besoin d'une certaine – je ne sais pas si c'est de la naïveté – pour le tenter malgré tout. Je pense qu'il faut agir un peu comme un enfant, ou comme un adolescent, quelqu'un qui ne se conforme pas encore, qui a encore l'impression que les possibilités sont illimitées.

Est-ce donc une mission remplie d'espoir, même si l'échec est inévitable ?

Igor Je pense que l'espoir est par définition irréaliste. L'espoir est lié à l'imagination, à la capacité de l'imagination à explorer des lieux qui sont complètement impossibles. Il ne s'agit pas de ce qui sera accompli, mais de la manière dont cette imagination irréaliste nourrit de sa puissance le moment présent. C'est une force émancipatrice pour le présent et non une promesse pour l'avenir. Voilà pour moi la différence entre l'espoir et l'optimisme ; ou plutôt, c'est pour cette raison que ces deux éléments ne doivent pas nécessairement aller de pair. Quand on n'est pas victime des circonstances, on a de l'espoir, dans le sens où on tient bon en se trouvant dans une situation difficile, on continue à respirer chaque jour.

CASCADE fait appel à un mélange de musique électronique enregistrée et de musique en live composée par Brendan Dougherty et interprétée par deux percussionnistes. Qu'apporte leur présence au spectacle ?

Meg De tout temps, les tambours ont été un outil ou un guide pour rentrer dans d'autres dimensions. Pendant la création de CASCADE nous avons beaucoup parlé de la force du « beat » et des possibilités d'y coller ou non. Ça a un côté métaphorique : en observant différentes cultures, communautés et personnes, il apparaît clairement que nous avons des conceptions différentes du temps et du rythme. À certains moments de CASCADE les danseurs devancent la mesure ou s'en décalent ; ils ne la respectent pas sans plus. En tant que chorégraphe j'ai toujours entretenu un rapport évasif avec les mesures et les rythmes. À mes débuts, je me suis entre autres efforcée de supprimer les phrases chorégraphiques et les pas comptés. Je ne les ai jamais aimés.

Igor J'aime considérer les tambours comme une machine à remonter le temps. En manipulant le rythme, ils manipulent le temps. Les tambours ont la capacité de ralentir ou d'accélérer les choses, de les rendre plus intenses ou de les dégonfler. Ils possèdent un registre très étendu et tout un ensemble de possibilités, alors que généralement nous considérons les instruments de percussion comme relativement simples comparés aux autres instruments de musique.

La scénographie conçue pour le spectacle par Philippe Quesne est-elle aussi une espèce de machine à remonter le temps ?

Meg Certains éléments jouent sur la notion de non-linéarité ; les énormes coussins gonflables, par exemple, qui enflent et s'affaissent, comme s'ils inspiraient et expiraient.  De l'autre côté du plateau, il y a une rampe qui représente clairement un accès à l'espace, mais en même temps elle semble figurer le bout de la ligne. Donc il y a des cycles constants de commencement et de fin. La toile de fond y ajoute l'image d'une galaxie, d'un amas d'étoiles, évoquant ainsi l'infini, l'intemporel, un temps d'une telle immensité qu'on ne peut même pas se l'imaginer parce qu'elle est insaisissable par les sens rationnels.

Igor Le plateau a un côté ouvertement figuratif, mais pour moi cet espace non abstrait est lié aux vestiges de la représentation. Le fond est un ciel étoilé, mais il ne veut pas faire illusion. Il veut plutôt nous faire prendre conscience du fait qu'il offre l'illusion d'un ciel étoilé, alors qu'en réalité ce n'est qu'un rideau. C'est aussi pourquoi il est traité comme un rideau. Il se lève et retombe, il nous rappelle sans cesse qu'il n'est qu'un rideau. La réalité est ailleurs, elle ne réside pas dans son image.

Que signifie le titre du spectacle ?

Igor J'ai trouvé amusant que Biden utilise dans son discours inaugural l'expression « cascading events » – événements en cascade. En général « en cascade » a un sens négatif, car selon les lois de la physique une cascade déplace l'énergie du haut vers le bas. Mais il y a aussi d'autres types de cascades, qui bravent ou brouillent ce sens conventionnel et linéaire du mot. Par exemple, à l'intérieur du corps l'énergie circule sans arrêt, rétablissant et renouvelant son flux dans un cycle continu. Monter et descendre est un thème récurrent dans CASCADE. Les danseurs doivent courber leur trajectoire pour ne pas s'affaler sans plus. En permanence, ils extraient à la fois de l'énergie de la terre, qui les tire aussi vers le bas, et de leur résistance à la pesanteur. Et dans ce sens, ils se servent les uns des autres comme d'une espèce de support.
L'idée de la cascade est aussi liée à l'effort. Ça ne veut pas dire que cette pièce veut parler de l'épuisement, mais un effort est nécessaire pour maintenir les choses en mouvement, même aux moments où la pièce plonge jusqu'au « point zéro » et se fige plus ou moins, est quasiment à l'arrêt. Nous plaisantons sur le fait que dans toutes les pièces de Meg il y a un moment où les danseurs s'endorment, car ils sont tellement épuisés que s'ils ne se reposent pas, ils mourront – ce n'est donc même pas une décision dramaturgique, elle est technique.

Meg À mes yeux, de tels moments affirment la vie. Le titre est aussi lié à la notion de « cascadeur » – « celui qui prend des risques ». Il a un rapport au fait de se montrer vaillant, pas comme un super-héros, mais dans le sens où on transcende son univers habituel, où on vit dans un état de déséquilibre, d'ignorance, et on se met en mouvement à partir de là. Voilà une grande partie du travail que nous avons fait en groupe : trébucher, bégayer, sauter ou s'élancer dans l'air sans se demander comment on retombera. Au début du processus de création, nous avons étudié beaucoup de disciplines sportives et nous avons travaillé avec un entraîneur professionnel de football, comme une espèce d'entraînement pour améliorer l'endurance et se débarrasser d'idées préconçues sur ce que doit être la danse. Plus tard, nous avons bien sûr réintégré des lignes chorégraphiques contemporaines dans la pièce, mais nous voulions incorporer ce sentiment d'urgence et ces télescopages ludiques qu'on voit dans les sports.

La première de CASCADE devait avoir lieu en septembre 2020, mais alors est arrivée la pandémie…

Meg L'un des interprètes a déclaré : « La pièce semble neuve… mais ancienne malgré tout ». Le matériel existe depuis longtemps, mais comme le processus de création a été tellement fractionné, nous continuons à le rafraîchir, même si nous ne le changeons pas toujours. Nous avons commencé en janvier 2020, en travaillant sur le temps et la rupture, sur les rapports au temps fondés sur l'habitude – donc on pourrait dire que les événements mondiaux se sont introduits dans le processus et l'ont perturbé. Personnellement, ça m'arrive tout le temps. Ainsi, au moment du 11 septembre nous venions d'entamer la préparation d'Alibi, qui traite entre autres de la violence. Et tandis que nous travaillions sur l'énergie cinétique et sa force destructrice pour VIOLET est arrivé le tsunami au Japon, alors qu'au même moment se déroulait aussi le printemps arabe. C'est sinistre. Je ne veux rien mythifier ni prétendre que j'ai eu des visions. Seulement, ça me surprend vraiment qu'au lieu de rester fictif ou conceptuel, tout cela se concrétise.

Igor C'est ce qui se passe quand on sort du temps linéaire.

Interview par Julie De Meester / Damaged Goods, janvier 2021

CASCADEPresse

Dans un décor de fin du monde signé Philippe Quesne et sur une musique de Brendan Dougherty, Meg Stuart crée CASCADE. Un collectif à la recherche de nouvelles organisations collectives, cherchant « à résister à l’entropie qui gagne les corps et l’espace ».

Au sens propre, une cascade est une chute d’eau, souvent impressionnante par sa rapidité et son bruit. Au sens figuré, c’est un enchaînement d’événements, connu également sous le nom d’ « effet domino ». Dans la création de Meg Stuart il est donc bien sûr question de corps qui tombent, se relèvent, recommencent, et de réactions en chaîne. Commencée juste avant l’épidémie, CASCADE s’est mise à résonner  étrangement avec l’actualité. Avec un groupe de sept interprètes hétérogènes, issus de la danse comme du théâtre, avec des corps, des âges, des énergies disparates, Meg Stuart s’est attaquée au temps, en travaillant sur le rythme, synchronisant ou désynchronisant les corps précipités dans l’exigence de tempos insoutenables. Entraînés par un coach de l’équipe américaine de football, ils ont jeté leurs corps dans un nouvel espace-temps, ils ont résisté, transformé les turbulences traversées en force motrice, pour exorciser la peur.

Agnès Izrine, La Terrasse, 22 octobre 2020

Portrait

Meg Stuart est une chorégraphe et danseuse américaine, née à la Nouvelle-Orléans, vivant et travaillant à Berlin et à Bruxelles. En 1983 elle s’est installée à New York pour y étudier la danse à la New York University. Elle a poursuivi sa formation à Movement Research, où elle a exploré plusieurs techniques de Release et était active dans le monde new-yorkais de la danse.

Invitée en 1991 à se produire au festival Klapstuk à Louvain, elle a créé sa première pièce longue, Disfigure Study, le coup d’envoi de sa carrière artistique en Europe. Dans cette chorégraphie, Meg Stuart abordait le corps comme une entité physique vulnérable qui, même s’il est déstructuré, déformé ou manipulé, trouve toujours un écho et un sens. Souhaitant mettre en place une structure personnelle pour la création de projets artistiques, elle a créé Damaged Goods à Bruxelles en 1994. Meg Stuart et Damaged Goods ont réalisé plus de trente productions – allant de soli tels que XXX for Arlene and Colleagues (1995), Soft Wear (2000) et Hunter (2014) à des productions de plus grande envergure telles que Visitors Only (2003), Built to Last (2012) et UNTIL OUR HEARTS STOP (2015). La compagnie explore diverses formes artistiques telles que la création video, l’installation ou la création in situ, tels que Projecting [Space[ à Ruhrtriennale 2017.

Elle lance plusieurs projets autour de l’improvisation, tels que Crash Landing et Auf den Tisch!. En collaboration avec un groupe féminin d’artistes locales, Meg Stuart accueille City Lights – a continuous gathering en 2016 à HAU Hebbel am Ufer (Berlin).

Elle s’efforce d’élaborer un nouveau langage pour chaque spectacle en collaboration avec des artistes de différentes disciplines créatrices, comprenant les plasticiens Gary Hill et Ann Hamilton ou les compositeurs Hahn Rowe et Brendan Dougherty. Le recours aux techniques théâtrales et le dialogue entre le mouvement et la narration sont des thématiques récurrentes dans ses chorégraphies. Son travail chorégraphique s’articule autour du concept d’un corps plongé dans l’incertitude, vulnérable et tourné vers l’introspection. À travers l’improvisation, Meg Stuart sonde les conditions physiques et émotives, ou leur souvenir. Son travail artistique évoque une identité sans cesse changeante; il se redéfinit en permanence, tout en recherchant de nouveaux contextes et territoires où présenter la danse.

Meg Stuart/Damaged Goods entretient une collaboration au long cours avec le Kaaitheater à Bruxelles et HAU Hebbel am Ufer à Berlin.

CASCADEGénérique

chorégraphie Meg Stuart
créé avec et interprété par Pieter Ampe, Jayson Batut, Mor Demer, Davis Freeman, Márcio Kerber Canabarro, Renan Martins de Oliveira, Isabela Fernandes Santana
scénographie et lumières Philippe Quesne
dramaturgie Igor Dobricic
composition musicale Brendan Dougherty
musique live Philipp Danzeisen et Rubén Orio / Špela Mastnak
costumes Aino Laberenz
texte Tim Etchells / Damaged Goods
assistante scénographie Elodie Dauguet
assistante costumes Patty Eggerickx
assistante création Ana Rocha

production Damaged Goods, Nanterre-Amandiers, PACT Zollverein, Ruhrtriennale – Festival der Künste 2020
avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
coproduction December Dance (Concertgebouw and Cultuurcentrum Brugge), Festival d’Automne à Paris, HAU Hebbel am Ufer, Berlin, théâtre Garonne - scène européenne, Toulouse, Arts Centre Vooruit, Gand, Perpodium
Cascade a été réalisé avec le soutien du Tax Shelter du gouvernement belge. Meg Stuart et Damaged Goods sont soutenus par les autorités flamandes et la Commission communautaire flamande.

création le 17 juillet 2021 à Impulstanz, à Vienne (création initialement prévue en 2020)