28 fév > 5 mars

EDELWEISS (France Fascisme)

Sylvain Creuzevault

coproduction

EDELWEISS (France Fascisme)

Sylvain Creuzevault

Le théâtre que Sylvain Creuzevault invente avec ses huit acteurs et actrices fait jouer des “grimaces”. Il les suscite par le jeu, les expérimente au plateau, les produit face aux spectateurs. Dans Les Frères Karamazov, leur matière était les personnages du roman. Cette fois, l’équipe s’empare de figures historiques : écrivains et hommes politiques choisis au sein de l’extrême droite française, de la fin des années 1930 jusqu’à la collaboration et à l’épuration, sauvage puis légale, où certains trouveront leur fin. Se rappellent ainsi à notre bon souvenir Doriot, Déat, Laval, Rebatet, Brasillach, Céline, Brinon et quelques autres. Leurs discours, leurs livres, leurs mots sont des matériaux du spectacle.

On y retrouvera l’épisode que Céline a immortalisé sur un mode grotesque dans D’un château l’autre : Sigmaringen, ce nid d’aigle en Forêt Noire où avaient détalé Pétain et son gouvernement, suivis d’un cortège des collaborateurs en déroute. Un petit monde en panique dans sa fin de partie, “communauté réduite aux caquets” (Rebatet), avec “l’article 75 au cul” (Céline) – l’article 75 étant, dans l’ancien code pénal, celui qui condamne à la peine capitale “tout citoyen français reconnu coupable de trahison et d’intelligence avec l’ennemi”.

C’est suite à un travail sur la résistance allemande pendant le régime nazi, que la compagnie a décidé de s’intéresser, symétriquement, au fascisme français dans la même période. Mais la question ne change pas : en scrutant le fascisme, c’est aussi l’antifascisme qu’on sonde – ce qu’il est, ce qu’il peut, et fait, ou pas. Il ne s’agit pas d’une reconstitution historique, mais d’une comédie écrite au moment du danger. Maintenant.

Théâtre
28 Février > 5 Mars
mer 28 fév / 20:00jeu 29 fév / 20:00ven 1 mar / 20:30sam 2 mar / 18:30lun 4 mar / 20:00mar 5 mar / 20:00

durée durée estimée : 2h15
coproduction Garonne
Tarifs généraux de 15 à 25 € / Tarifs adhérent·es de 13 à 19 €
Note dramaturgique

Edelweiss travaille le fragment idéologique le plus infâme de la culture de droite française : l'ultra-collaborationnisme.
Les mots réunis ici sont la matière du spectacle. Leurs auteurs sont des intellectuels français qui ont, pendant la guerre, soutenu les nazis au-delà de tout opportunisme. Ce n'est pas un parti ou une opinion qui les rassemble, mais la hantise de la décadence et la haine de tout ce qui, pour eux, en est le symbole : les Juifs, les communistes, la République, la démocratie, le régime de Vichy, etc. Ils donnent des arguments aux meurtres, aux délations et aux déportations. Ils rêvent la France aux avant-postes d'une Europe nationale-socialiste. Les uns finiront suicidés, les autres emprisonnés ou fusillés, à l'épuration, pour "intelligence avec l'ennemi". Ensemble, ils font entendre un requiem fasciste. Mais, à nos yeux, ces textes ne répondent pas à un devoir de mémoire. Il est probable que rien ne justifie de les tirer de l'oubli, pas même le fait de les dénoncer, de les démonter ou de les ridiculiser publiquement. Il n'est pas sûr que l'on puisse les porter sur scène sans faire, malgré soi, le jeu du fascisme qui vient. En tout cas, on ne remue pas la merde sans se salir un peu les mains.

Edelweiss nous expose au détestable baratin des partisans français d'Hitler. Mais la pièce présente aussi le fascisme sous les traits d'une révolte (avortée) et d'une espérance (déçue) ; elle lui reconnaît, de temps en temps, une forme de lucidité méchante. Elle cherche ce qu'il a de plus vivant et tente de prendre la mesure de son pouvoir de destruction. Comment se confronter théâtralement aux écrits de Lucien Rebatet, Robert Brasillach ou Pierre Drieu la Rochelle ? Nous le ferons par une bouffonnerie — dramaturgie grimaçante qui casse parfois la distance et n'exclut pas toujours la rigueur historique.

Dans Edelweiss, l'histoire des "ultras" de la collaboration n'est pas un épouvantail mais le miroir grotesque qui nous renvoie, au présent, l'image d'un devenir fasciste à la française.

EDELWEISS (France Fascisme)Entretien

Edelweiss [France Fascisme], votre quatrième spectacle à l’Odéon, traverse le fascisme français pendant et autour de la Seconde Guerre mondiale. Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet ?
Sylvain Creuzevault À partir de la fin de l’année 2021, j’ai construit avec le groupe 47 de l’école du Théâtre national de Strasbourg un spectacle qui s’appelle L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, qui explore la résistance allemande. Il sera joué à la MC93, à Bobigny, cet automne. Il raconte l’histoire d’un jeune ouvrier allemand qui traverse la période 1937-1945 dans les milieux clandestins antifascistes et communistes. Ce travail m’a donné envie d’inverser les points de vue et de regarder la même période, mais en France, du côté nationaliste puis fasciste. D’examiner comment des intellectuels, des écrivains, des militants français de tous bords politiques vont, au fur et à mesure du conflit mondial, choisir la voie fasciste, et voir un avenir européen dans l’Allemagne d’Hitler. Edelweiss [France Fascisme] est donc un projet miroir du précédent.

Pourquoi aller chercher la parole de l’extrême- droite et la montrer sur scène ?
S. C.
Quelque chose de notre présent m’y force. Elle est partout. L’hypothèse fasciste est d’actualité. Petite précision : circonscrire uniquement le fascisme à l’extrême-droite, c’est faire de lui un phénomène purement idéologique... Or, le fascisme n’a pas sa structure dans l’unique idéologie xénophobe de l’extrême-droite, mais dans une manière de production sociale qui déraille, comme l’histoire du capitalisme l’a déjà montré. C’est Bertolt Brecht qui disait : “Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise.” Les fascistes ne viennent pas uniquement de l’extrême-droite, ils peuvent venir de partout, si un milieu les favorise, comme une crise économique, une guerre, une épidémie, etc. Le régime de Vichy concentre toutes les composantes de la droite nationale, mais également des personnes venues de la gauche. Une voie fasciste a été frayée à ce moment-là, dans des circonstances particulières. Sur quels éléments fondateurs le fascisme se base-t-il ? À quels courants de pensée puise-t-il ? Quels affects sociaux manipule-t-il ? Comment y adhère- t-on ? Quelle forme prend-il en France, avec son histoire particulière ? Autant de questions qui ont traversé les répétitions.

Julien Vella Nous ne prétendons pas occuper une position de surplomb ou d’innocence par rapport au sujet. Il s’agit de regarder l’Histoire depuis un point de vue que, par réflexe, on se refuse à adopter. En France, tous les cinq ans, au second tour des élections présidentielles, on assiste au grand rituel du barrage à l’extrême-droite. C’est évidemment un mythe – celui d’un fléau qui déferlerait périodiquement sur la République sous les traits commodes d’un parti bien identifié –, mais cette union sacrée cache mal le fait que, en vingt ans, les idées fascistes sont devenues dominantes. C’est donc que, d’un côté, elles sont portées par des instruments de propagande efficaces (livres, médias, réseaux sociaux, cellules militantes, etc.) et que, de l’autre, elles bénéficient de la conjoncture et, plus profondément, d’une certaine organisation des rapports sociaux, de l’économie, du travail, de la culture, etc. Pour Edelweiss [France Fascisme], il a fallu sans cesse travailler contre l’impensé antifasciste de gauche, et plus largement républicain, qui réduit le fascisme à une hérésie politique, peut-être pour ne pas avoir à s’y confronter de trop près.

Comment allez-vous manier ce matériau dangereux, explosif ?
S. C.
Au calme. L’intelligence est dans l’œil du spectateur.

Pourquoi avoir appelé le spectacle Edelweiss ?
S. C.
Edelweiss est le titre d’une marche militaire écrite en 1938 par le compositeur allemand Herms Niel. C’était un fonctionnaire de l’armée qui est devenu compositeur de marches. Ce chant a été traduit en français au moment de la création de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme en juillet 1941, lorsque l’Allemagne attaque l’URSS. En France, les fascistes les plus déterminés (Jacques Doriot, Marcel Déat, Eugène Deloncle...) ont créé cette organisation pour que des Français puissent combattre les Soviétiques au sein de la Wehrmacht. Elle a le soutien du régime de Vichy, même si elle n’en est pas une émanation directe. Des contingents partent fin août 1941 pour le front de l’Est. L’edelweiss est aussi une petite fleur blanche, rare, pure, dont la légende dit que Hitler l’aimait bien. L’image entre en résonance avec un certain côté romantico-kitsch du fascisme.

(...)

Le point de vue des intellectuels est au centre du spectacle. Qu’est-ce qui vous intéresse chez eux ?
J. V.
L’une des interrogations portées par le spectacle est : qu’est-ce qui se passe quand les intellectuels se découvrent responsables politiquement ? Quelles horreurs se produisent quand ceux qui écrivent s’associent à ceux qui décident ? Et comment la position des intellectuels bouge-t-elle en fonction de l’évolution de la situation ? Finalement, ce sont des gens qui font des paris sur les circonstances. Ce qui donne son poids aux mots, c’est la manière dont cette situation se transforme. En 1942, Lucien Rebatet est l’auteur d’un best-seller dont tout le monde parle, c’est un intellectuel à la mode, l’équivalent d’un Éric Zemmour ou d’un Michel Houellebecq aujourd’hui ; en 1946, il ne lui reste plus qu’à gribouiller un Dialogue de “vaincus” du fond de sa cellule, en attendant d’être gracié par ses ennemis politiques.

Ce sont également tous des amateurs d’art, notamment de musique...
S. C. Côté mise en scène, on retrouvera au plateau le musicien Antonin Rayon, mais effectivement Lucien Rebatet et Robert Brasillach sont des critiques d’art, notamment de cinéma et de musique. Lucien Rebatet est même considéré pour ça. Quelles relations peuvent entretenir certaines de nos figures avec la création artistique de leur temps ? Et quel rapport, dans leurs productions, entre esthétique et politique ?

J. V. C’est aussi une question de politique des formes. Quelles sont les attentes vis-à-vis des œuvres d’art ? La peinture est le médium de la représentation, alors que la musique est celui du transport. Or, l’émotion est un des thèmes que l’on retrouve souvent chez les fascistes – “Le fascisme est une poésie”, “c’est une émotion qui unit”, etc. La musique ne fabrique pas d’images, mais elle peut susciter une transe, une extase... Paradoxalement, un nazillon comme Rebatet peut se reconnaître dans une musique avant-gardiste que les nazis eux-mêmes jugeraient “dégénérée”. Et inversement, un philosophe juif allemand antifasciste comme Theodor Adorno a, en un sens, des goûts musicaux beaucoup plus réactionnaires. Les choses ne sont pas pures.

Entretien réalisé par Raphaëlle Tchamitchian en août 2023
avec Sylvain Creuzevault, metteur en scène et Julien Vella, dramaturge

 

Presse

"Sylvain Creuzevault et ses brillants interprètes dressent un portrait du fascisme français qui invite le spectateur à interroger la manière dont il en reçoit le discours. Éclairant et glaçant !"

Catherine Robert, La Terrasse, 23 septembre 2023

"Après avoir monté l’Esthétique de la résistance, de Peter Weiss, qui raconte la résistance communiste allemande, Sylvain Creuzevault met en scène la collaboration française. Pas d’adaptation mais un travail d’écriture de plateau, à partir de lectures et autres documents audio et visuels, pour élaborer, avec les acteurs, Edelweiss. Plusieurs tableaux constituent cette pièce, qui se succèdent sans temps mort ni faux raccords, déployant ainsi une frise historique chronologique qui s’autorise quelques allers-retours dans le passé tout en affirmant une volonté didactique sans faille. On pense à Brecht, évidemment, dans cette adresse au public régulière, dans le jeu farcesque des acteurs, qui n’hésitent pas à s’interpeller ou à commenter leurs propres personnages, dans des saillies humoristiques désopilantes, et dans ce décor à la fois imposant et épuré. Mais aussi dans cette idée d’un théâtre qui s’inscrit dans le présent, notre présent. Car, derrière cette fresque historique, ce décryptage de la collaboration non par les petites mains, mais par ceux qui la théorisèrent et en devinrent ses thuriféraires officiels par la littérature ou le journalisme, on entend la petite musique d’aujourd’hui qui se répand, sans complexe, sur les ondes ou les réseaux sociaux. « Le retour de l’hypothèse fasciste est d’actualité », dit Sylvain Creuzevault.

En retraçant la généalogie de l’extrême droite française, on mesure combien ses racines sont profondes et continuent d’irriguer le champ politique. Les Brasillach d’hier ne sont-ils pas les Houellebecq d’aujourd’hui ? C’est en cela que le spectacle de Creuzevault est nécessaire, et utile. Parce que l’on croit tout savoir, mais on ne sait plus. Parce qu’on tourne trop vite les pages du livre d’histoire, ou que le livre d’histoire est incomplet. Alors Creuzevault remet ce chantier historique sur le métier, sur un plateau de théâtre, pas pour nous faire un cours mais pour éveiller nos consciences."

Marie-José Sirach, L’Humanité, 24 septembre 2023

"Quel est le substrat qui amène un intellectuel ou un politique à collaborer avec un régime comme celui des nazis ? De quel ordre est la fascination exercée par le IIIe Reich sur une partie des élites françaises ? Comment le nationalisme français traditionnel débouche-t-il sur la soumission à une puissance étrangère ? En quoi le fascisme est-il, lui aussi, un mouvement révolutionnaire ? Que contient cette notion d’« intelligence avec l’ennemi » ? Autant de questions, parmi d’autres, posées par Edelweiss, qui tente de décortiquer quelques-uns des mécanismes qui ont amené le régime de Vichy à faire le choix du pire."

Fabienne Darge, Le Monde, 22 septembre 2023

 

Portrait

Sylvain Creuzevault est acteur, metteur et directeur de la compagnie Le Singe. Depuis 2016, il est installé à Eymoutiers (Haute-Vienne) où il a créé son propre lieu. Au théâtre Garonne, Sylvain Creuzevault a présenté Notre Terreur (2010), Le Capital et son singe (2014), Angelus Novus AntiFaust (2016), Démons (avec le ThéâtredelaCité, 2019), Construire un feu (2020) Banquet Capital (avec le Théâtre Sorano, 2022). Il présentera sa prochaine création, Walter Benjamin lors de la saison 2024/2025 dont nous serons coproducteurs. 

EDELWEISS (France Fascisme)Générique

mise en scène Sylvain Creuzevault
de et avec
Juliette Bialek
Pierre-Antoine Cousteau (journaliste), la postière, Julius Ritter (officier SS), l’Ange
Valérie Dréville Jeanne Rebatet, Fernand de Brinon (journaliste et ambassadeur de France à Paris), Jeanne Reichenbach
Vladislav Galard Jacques Isorni (avocat), Philippe Henriot (homme politique), Pierre Drieu la Rochelle (écrivain), Otto Abetz (ambassadeur d’Allemagne), Hubert (cadre de l’École d’Uriage), Rudolf Schleier (ambassadeur d’Allemagne), Henri Poulain (journaliste)
Pierre-Félix Gravière Joseph Vidal (président de la Cour de Justice), Marcel Déat (homme politique et journaliste), Jean Bérard (paysan), Claude Jeantet (journaliste)
Arthur Igual Marcel Reboul (procureur), le poilu, Pierre Laval (homme politique), Jean (cadre de l’École d’Uriage), Léon Blum (homme politique)
Charlotte Issaly Robert Brasillach (écrivain et journaliste)
Frédéric Noaille Jacques Doriot (homme politique et journaliste), Louis-Ferdinand Destouches dit Céline (écrivain et médecin), Joseph Martin (paysan), Joseph Darnand (militaire et homme politique), Charles Lesca (éditeur de presse et journaliste), Arot (brigadier)
Lucie Rouxel Lucien Rebatet (écrivain et journaliste), la concierge
Antonin Rayon musicien

assistanat à la mise en scène Ivan Marquez / dramaturgie Julien Vella / lumière Vyara Stefanova / création musique, son Antonin Rayon, Loïc Waridel / scénographie Jean-Baptiste Bellon, Jeanne Daniel-Nguyen (et régisseuse plateau en tournée) / vidéo Simon Anquetil / maquillage, perruques Mityl Brimeur / costumes Constant Chiassai-Polin / régie générale Clément Casazza / régie lumière Charly Hové / habillage Sarah Barzic / administration de production Anne-Lise Roustan / direction de production Élodie Régibier / construction du décor et des accessoires Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe / réalisation des tailleurs Pauline Voegeli

production Le Singe coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris, La Comédie de SaintÉtienne, théâtre Garonne – scène européenne, Toulouse, L’Empreinte – scène nationale Brive-Tulle, La Comédie de Béthune, Points communs – scène nationale de CergyPontoise avec la participation artistique du Jeune théâtre national la compagnie est soutenue par le ministère de la culture / DRAC Nouvelle-Aquitaine
remerciements Jean-Gabriel Périot, réalisateur du film Eût-elle été criminelle... (2006) et Envie de Tempête Productions, Musée Mayer van den Bergh d’Anvers en Belgique pour la photographie du tableau de Pierre Brueghel l’Ancien, Margot l’enragée (Dulle Griet), MMB.0045, photo.Michel Wuyts

créé le 21 septembre 2023 à l’Odéon - Ateliers Berthier, dans le cadre du Festival d’Automne.