Entretien avec Gwenaël Morin

Entretien

Par le passé, vous avez monté Hamlet, Othello et Macbeth. Qu’est-ce qui vous a ramené vers William Shakespeare et plus particulièrement vers Le Songe d’une nuit d’été ?

Cette création fait suite à une invitation de Géraldine Chaillou, qui a toujours beaucoup soutenu mon travail quand elle avait en charge la programmation au Théâtre de la Bastille. Lorsqu’elle a rejoint l’équipe du Festival d’Avignon, comme codirectrice de la programmation, elle m’a proposé de réfléchir à un projet autour de Shakespeare. Je me suis d’abord orienté vers le terrain des tragédies, pour lequel j’ai un penchant naturel. J’ai envisagé les quatre grandes tragédies emblématiques (Hamlet, Othello, Macbeth et Le Roi Lear) mais, à la réflexion, je me suis dit qu’il valait peut- être mieux essayer autre chose. Par ailleurs, Géraldine m’a demandé : « À quoi tu rêves ? » De manière assez littérale, Le Songe d’une nuit d’été m’a semblé apporter une bonne réponse à cette question, même si cette pièce ne m’attire pas plus que ça. Je n’ai pas une grande passion pour les comédies en général et pour celles de Shakespeare en particulier. J’ai du mal à les lire, à m’y plonger vraiment. Du coup, c’est un choix un peu masochiste [sourire] mais cela représente aussi un défi – un aspect forcément stimulant : il y a là un nouvel espace à inventer.

Comment abordez-vous la pièce ?

Sous la forme d’une adaptation pour quatre interprètes, deux actrices (Virginie Colemyn, Barbara Jung) et deux acteurs (Julian Eggerickx, Grégoire Monsaingeon), qui incarnent les quatre personnages centraux de la pièce mais qui jouent aussi d’autres rôles. Nous sommes actuellement au début de la période de création. Nous effectuons d’abord beaucoup de travail à la table en essayant de dégager des enjeux qui nous mobilisent, en extrapolant sans frein. Parallèlement, nous faisons des expériences – largement improvisées – de restitutions de la pièce, sans connaître le texte par cœur et sans chercher à le répéter ou l’imiter, un peu comme si nous tentions de reconstruire un rêve que nous aurions fait ensemble. Nous tendons ainsi vers une traduction hybride de la pièce en entrant en conflit sensible avec elle. J’en ai déjà fait l’expérience avec les tragédies : le conflit se trouve au cœur même de la dramaturgie shakespearienne. Par ailleurs, la confrontation est essentielle dans ma pratique du théâtre. Ce projet m’attire aussi justement parce qu’il m’amène à me confronter à mes affinités.

Dans le dossier de présentation, vous dites que vous aspirez avec Le Songe à « retrouver une certaine innocence du théâtre, le plaisir modeste et fou d’être amoureux, de tomber amoureux encore une fois à l’infini », que vous avez envie de « faire un spectacle qui rende amoureux ».

Dans l’amour, il y a le désir d'aller à la rencontre de l’autre. La folle modestie d’être amoureux consiste à croire qu’il est possible à l’infini de faire disparaître tout ce qui nous sépare. Ce désir de transformation en l’autre ou avec l’autre est aussi consubstantiel du théâtre. Être acteur ou actrice, c’est tendre à devenir autre en faisant voler en éclats toutes les assignations, tous les cantonnements, toutes les limites. Le théâtre, autant que l’amour, représente ainsi une utopie. Je partage un cheminement théâtral avec les quatre interprètes de la pièce depuis une vingtaine d’années. Nous sommes aujourd’hui quinquagénaires. Le spectacle est traversé par la volonté de nous interroger sur la nécessité de continuer à travailler ensemble – ce qui, par contrecoup, nous amène à retourner au contact de nos premières amours. Il ne s’agit pas de retrouver une jeunesse perdue mais plutôt de mettre à l’épreuve notre désir de théâtre, de le réactiver au présent, enrichi de nos expériences passées.

Le spectacle va être créé en juillet à l’occasion du 77e Festival d’Avignon, dans le jardin de la maison Jean Vilar, et marque le démarrage d’un cycle de créations à l’intitulé très prometteur : Démonter les remparts pour finir le pont.

En m’appuyant sur la langue mise à l’honneur par le festival chaque année (l’anglais en 2023, l’espagnol en 2024...), je souhaite donner forme à un répertoire de grands classiques dans l’esprit de Jean Vilar mais avec la dynamique de ma propre esthétique. Ce répertoire va se construire sur quatre ans. La maison Jean-Vilar et son jardin nous offriront un point d’ancrage à la fois physique et symbolique. Nous y présenterons les quatre spectacles.

Propos recueillis par Jérôme Provençal