Entretien avec La Ribot

Entretien

Depuis 1993 les Pièces distinguées s’immiscent dans vos créations. Quel en est le principe ?

C’est un projet qui tient ma vie et me concentre artistiquement parlant. Les Pièces distinguées sont ma source de réflexion et simultanément, elles se nourrissent de tout. Au début, en 1993, j’ai suivi quelques principes pour envisager le projet. Faire cent Pièces distinguées tout au long de ma vie, toujours en solo sur scène et avec une économie de moyens maximale, en silence, avec une recherche de plasticité, etc. Ça fait maintenant plus de trente ans que je développe ce projet. Les dix premières an-nées en solo ont donné 34 Pièces distinguées, toutes compilées dans Panoramix (1993-2003). La décennie suivante, je me suis consacrée à la recherche en danse-vidéo et à des créations pour des grands groupes, et j’ai arrêté les Pièces distinguées. C’est seulement en 2011 que je re- prends. J’ai inclus dans PARAdistinguidas (2011) le groupe (25 personnes sur scène), et je continue avec Another distinguée (2016) et enfin dans DIEstinguished (2022) la vidéo est au cœur du spectacle/série. À ce jour j’ai fait 59 Pièces distinguées. Distinguished Anyways (2021) comme le titre l’indique, est une série/spectacle où de toute façon, tout est distingué, même si les pièces ne sont plus courtes, ne sont pas seulement interprétées par moi, et même si elles ont changé de facture. Maintenant elles peuvent se faire à l’extérieur et s’alignent sur la lumière ou l’ombre du soleil. Rouge-sang dans Pièce distinguée N° 45, blanc-pierre dans Pièce distinguée N° 55 – Amore Mio, gris-cendre dans Pièce distinguée N° 56 – Vesubio, et or-lumière dans Pièce distinguée N° 59.

Nous présentons également une de vos œuvres vidéo en juin 2024 (Mariachi 17). Quel rapport entretenez-vous dans vos créations à l’image vidéo et à ce corps opérateur ?

La deuxième moitié du XX siècle a été l’époque de la danse et la vidéo. Et celle aussi de l’action, du corps, de l’identité et de la sexualité... J’ai eu besoin d’explorer la relation entre la danse et le cinéma-vidéo. La notion de corps-opérateur est ma réponse. La danse est un art de l’expérience que la caméra peut capter de manière subjective et objective alternativement, elle peut aussi capter l’émotion de la danse, la respiration, les mouvements saccadés du corps, la sensualité. La caméra peut capter la vision du corps des danseuses lorsqu’elles dansent. Le corps-opérateur est une forme d’enregistrement, une façon de filmer la danse, toujours en plan-séquence, caméra portée, pour se référer au live et corps qui danse. Mariachi 17 (2009) est un travail très centré là-dessus. Le montage et le tournage se sont déroulés pendant deux mois dans un théâtre. Donner forme, mettre des mots, créer des images et des mouvements, avoir un langage... Ce sont des choses très spécifiques, qui n’arrivent pas comme ça. Pour moi Mariachi 17 s’approche véritablement de quelque chose que j’avais déjà imaginé pendant des années. Je peux dire que ce film a toujours été dans ma tête, il fallait seulement le sortir.

Happy Island est une pièce écrite avec la compagnie portugaise Dançando com a Diferença qui réunit au plateau des corps avec et sans handicap. Qu'est-ce que cette collaboration vous a apporté ?

En 2018 Henrique Amoedo, directeur de Dançando com a diferença, m’invite à créer une pièce pour sa compagnie de danse inclusive. J’étais très intéressée. Dançando com a Diferença est une compagnie professionnelle et précaire. J’ai décidé de coproduire la pièce avec eux et de l’insérer dans mon circuit, pour leur donner une visibilité en dehors du ghetto disabled (le réseau spécialisé de la danse avec des interprètes en situation de handicap, qui communique très peu avec le circuit institutionnel de la danse contemporaine). Pour moi, c’était une action très importante de remettre les différences dans la normalité du circuit des festivals et de la programmation de danse. Pour créer la pièce à Funchal, nous assistions, mon équipe et moi, à tous les cours que Telmo Ferreira donnait à la compagnie chaque jour, et c’est là que j’ai compris beaucoup des choses sur leurs désirs, vie, corps et besoins. Happy Island parle d’eux, de leurs réalités et leurs fictions.