Entretien avec Mathilde Monnier

Entretien

Records se présente comme une traversée musicale et chorégraphique. D’où part-elle et vers quoi tend-elle ?

La pièce a été impulsée début 2020 et elle a pas mal évolué par rapport à l’idée initiale, la pandémie ayant entraîné une dilatation du temps de création. Plus j’avance dans le processus, plus l’espace m’apparaît comme un thème essentiel, voire obsessionnel. Avant, l’espace nous apparaissait comme quelque chose d’ouvert, possible, illimité. Avec la pandémie, nous avons été contraint.es de vivre dans des espaces limités. Il est devenu plus difficile de se déplacer, tout est plus contrôlé, sécurisé. Par suite, nous sommes actuellement en train de construire un autre rapport à l’espace – qu’il s’agisse d’un espace proche ou lointain. Je crois vraiment que cela va être une préoccupation majeure des années à venir. Dans la pièce, c’est précisément ce que font les danseuses : elles découvrent et s’approprient ces nouveaux espaces, physiques ou mentaux, qui caractérisent le monde d’aujourd’hui.

Le projet intègre une dimension écologique importante. De quelle manière se manifeste-t-elle exactement ?

Elle se traduit au niveau de l’économie, dans le choix de travailler et de voyager avec très peu de choses, de faire avec ce qui est disponible sur place, dans chaque lieu de représentation. Cela amène à réfléchir en profondeur pour trouver une autre manière de tourner, sans forcément utiliser de camion par exemple.

Un rôle central est dévolu à la musique, en l’occurrence celle de la soprano et cheffe d’orchestre Barbara Hannigan.

J’avais très envie de travailler avec la musique de Barbara Hannigan, chanteuse hors normes aussi étonnante par sa voix que par sa présence scénique. Hélas, son agenda étant déjà rempli à ras-bord pour les deux ans à venir, il n’était pas du tout possible pour elle de participer physiquement à cette création. Par conséquent, j’utilise des enregistrements de plusieurs morceaux interprétés par elle, notamment de György Ligeti et Luigi Nono.

La pièce se construit avant tout avec des femmes : non seulement Barbara Hannigan mais également les six danseuses. Qu’est-ce qui motive un tel élan féminin – voire féministe ?

Les six danseuses ont toutes de grandes qualités et de très fortes personnalités. Chacune d’elles développe par ailleurs son propre travail chorégraphique. Je n’ai pas de revendication féministe particulière à exprimer aujourd’hui car je suis féministe depuis longtemps. J’aime vraiment travailler avec des femmes car elles s’impliquent énormément, se remettent beaucoup en question. Pourtant, j’ai le sentiment qu’elles restent encore trop peu reconnues. Elles trouvent aussi moins facilement du travail que les hommes. Pour diverses raisons, j’ai eu envie de leur offrir cet espace dans Records. Néanmoins, c’est une pièce avec des femmes mais ce n’est pas une pièce sur les femmes (sourire).

À l’intérieur de votre répertoire, Records fait écho à Publique (2004), pièce articulée autour de la musique de PJ Harvey et interprétée uniquement par de jeunes femmes. Comment ces deux pièces, distantes dans le temps, se relient-elles ou entrent-elles en résonance l’une avec l’autre ?

Publique explorait l’univers de la danse en club ou en soirée festive et se concentrait sur l’adolescence, cet âge de la vie si particulier, synonyme de transformation et de quête identitaire. Dans Records, les interprètes féminines révèlent au contraire des identités très affirmées, elles ont trouvé leur place dans la société. Sous cet angle, on peut voir la pièce comme une suite ou une prolongation de Publique. Il existe aussi une connexion forte au niveau de la place accordée à la musique.

Propos recueillis par Jérôme Provençal