5 > 9 décembre

Evel Knievel contre Macbeth

Rodrigo Garcia

(Espagne - France)

Evel Knievel contre Macbeth

Na terra do finado Humberto

Une fiction dans laquelle deux filles à première vue pas normales nous confirment qu’en effet elles ne le sont pas. À tel point que de filles anormales elles deviennent des Sorcières, qu’elles se désintègrent et se réintègrent en Jeanne d’Arc, qu’elles renaissent jumelles, l’une en Arctique, l’autre aux Caraïbes. Toutes deux ne parlent qu’une langue douce et vénéneuse : le guarani. Une fois encore, le verbe est au commencement de toute chose, la parole est lumière.

Pour résumer l’affaire en vitesse – tout le monde a mieux à faire et il est déjà 20h passé – il s’agit d’une guerre encore plus longue et plus sanglante que celle de l’indépendance du Brésil, avec Ultraman et Neronga qui ont fait le voyage Tokyo – Salvador en classe affaire sans escales en passant leur temps à tripoter le cul des hôtesses et à vider le bar, appelés pour combattre aux côtés du motard cascadeur américain Evel Knievel qui se voyait mal libérer à lui tout seul le peuple Bahianais de la tyrannie d’Orson Welles déguisé en Macbeth qui s’était emparé du pouvoir et avait eu, qui plus est l’idée brillante de rétablir l’esclavage. Bref, un cinglé.
Neronga et Ultraman – ennemis depuis les années 70 et luttant pour la première fois dans le même camp – et Evel Knievel sont rejoints par l’arménien Martín Karadagián, la Momia Blanca, El Ancho Ruben Peucelle, Hippie Jimmy, le Pibe 10 et la Viudita Misteriosa, qui eux ont atterri lessivés d’un vol intérieur Aerolineas Argentinas, qui a fait Cordoba – Buenos Aires – Cordoba (encore ?) – Santiago du Chili – La Paz, où ils ont changé d’avion pour un Airbus de la compagnie brésilienne GOL, qui fait vraiment flipper, pour aller de La Paz à Salvador. (...)
Et c’est ce tableau désolant que découvrent les philosophes Lysias et Démosthène en arrivant à Salvador pour un voyage de fin d’études, venus d’Athènes en BlaBlaCar et gardiens d’un vieux navire rouillé qui transportait le décor d’une pièce d’Eschyle remasterisée (comme d’habitude : un phallus géant couvert de strass flirtant avec le style ionique) qui devait être représentée dans un festival international annulé, comme il fallait s’y attendre, à cause de la guerre de Bahia. Mais le navire avec le phallus avait déjà levé l’ancre depuis des semaines.
Ensuite, franchement, qui sait ce qui va se passer avec tout ça ? Moi je ne sais pas. Il y a des tas de points d’interrogation. Par exemple : comment Neronga a-t-il pu arriver en Boeing 747 s’il ne passe pas la porte ? Ce sont des choses qui s’éclairciront dans la pièce et sinon, qu’on rembourse les places, bande d’escrocs !
Rodrigo García

Théâtre
5 > 9 Décembre
Evel Knievel contre Macbeth
Rodrigo García
Evel Knievel contre MacbethGénérique

en français, espagnol et anglais, surtitré

texte, espace scénique et mise en scène Rodrigo García
avec Núria Lloansi, Inge Van Bruystegem et Gabriel Ferreira Caldas
assistant à la mise en scène Pierre-Alexandre Dupont
scénographie lumineuse Sylvie Mélis
vidéo Eva Papamargariti, Ramón Diago et Daniel Romero
son Daniel Romero, Serge Monségu
costumes Marie Delphin, Eva Papamargariti

Film Brésilien
réalisation 
David Rodriguez Muñiz
avec Rejane Maya, Merry Batista, Cássia Valle
production exécutive Dayse Porto / Movida Produtora de Conteúdo
assistants de production Manu Santiago, Ana Júlia Ribas
remerciements à l’Alliance Française de Salvador, Teatro Sesi Rio Vermelho, Escola de Dança da Fundação Cultural do Estado da Bahia, Tabuleiro de Acarajé da Dinha, Tabuleiro de Acarajé da Cira

production humain Trop humain - CDN de Montpellier
coproduction Teatros del Canal (Madrid), Bonlieu Scène nationale (Annecy), Teatro Nacional Cervantes (Buenos Aires)
avec le soutien du Fondoc

création le 15 novembre 2017 à hTh – CDN de Montpellier

Evel Knievel contre MacbethEntretien

Ta nouvelle création révèle la figure d’Evel Knievel, un motard fou qui a connu une période de gloire aux états-Unis dans les années 60. Comment as-tu découvert son existence, et quelles sont les lignes créatives que ce personnage a réveillées soudain pour entamer le chemin d’une nouvelle pièce ?

Tout le monde s’accorde à dire que Macbeth est une œuvre d’art totale. Même Borgès – qui par esprit de contradiction, ne saluait des écrits de Shakespeare que les sonnets – l’a reconnu. Le film de Roman Polanski sur Macbeth est un déploiement insolite d’imagination, aux antipodes duquel se trouve celui d’Orson Welles, minimal, un film d’étude qui, chaque fois que je le regarde, m’interpelle davantage malgré sa charge littéraire excessive. Sans parler des deux
milles flèches tirées dans la nuque de Toshiro Mifune dans Le Trône de sang : Le Château de l’araignée.
J’avais envie de faire quelque chose où Macbeth et les sorcières (Lady Macbeth ne m’a jamais intéressé, je préfère Macbeth parce que l’éthique est sa croix, et que c’est un faux dur... et je préfère les sorcières parce que ce sont elles les auteurs de la pièce, elles qui connaissent l’avenir) aient leurs cinq minutes de gloire warholiennes, et pour cela il fallait, face à Macbeth, un héros justicier, et j’ai pensé qu’Evel Knievel était parfait pour ça. Comme mon enfance a été un esclavage, une merde sans nom qui mérite d’être jetée aux oubliettes, je n’ai presque aucun souvenir concret, j’ai effacé les détails ; c’est pour ça que j’ai construit mon passé à ma façon, en mêlant fiction et réalité. Entendons-nous bien... si mon père avait été philosophe et ma mère concertiste de piano, je n’aurais jamais eu vent d’un type comme Evel. Mais mes parents étaient des travailleurs qui n’avaient pas fait d’études, et ma famille était de classe populaire, donc découvrir l’existence d’Evel en regardant la télé en noir et blanc était plus dans mes cordes que d’aller à l’opéra voir L’Enlèvement au Sérail et de dîner ensuite au restaurant.

Tes pièces comportent toujours une pluralité de lignes graphiques, visuelles, sonores, poétiques, voire narratives ; j’imagine que cette nouvelle création proposera aussi cette constellation de langages personnels, et même peut-être de nouveaux textes.

Si ce que tu entends par là c’est que je me répète, j’y souscris. C’est vrai que je me répète pas mal. Je crois que je n’ai fait qu’une pièce qui soit différente des autres, Accidens, celle du homard. Dans cette pièce le temps se replie ; quand la pièce est réussie, quelque chose se passe, le temps flirte avec le temps inconnu, avec le non-temps. Mes pièces sont de plus en plus gauches parce qu’aujourd’hui tout n’est plus bon à prendre. Il y a quelques années j’étais une machine à imaginer, et maintenant je suis une machine d’auto-censure, je me pose des questions sur tout, aucun moyen expressif ne me convient, sans doute à cause de toutes les pièces que j’ai faites dans ma vie. Dans tous les cas, c’est stimulant... parce que ça m’emmerde... ça m’emmerde de ne pas trouver facilement en moi plus de formes, plus de couleurs, plus d’essences, plus d’effluves, plus d’aliénation. Perdre la folie pourrait me rendre fou. Si on m’enlève la dinguerie je meurs, parce que pour moi le quotidien, le train-train ordinaire, c’est le point de départ, c’est une base d’opérations poétiques, mais ce n’est pas la réalité ; c’est pour ça que je m’efforce, avec les acteurs, les techniciens, les musiciens, les vidéastes, les éclairagistes....  à chercher de l’ordre pour altérer les choses, voilà c’est ça, présenter l’aliénation au sein d’un système précis, le plus exact possible... Souvent je pense à Edgar Varese... Quand je n’en peux plus, je sors de la caisse des œuvres de Varese un CD et je l’écoute... même si pour ça, il n’y a rien de tel que Beethoven...

Nous savons déjà qu’il y aura des enfants parmi les acteurs, comme dans ta pièce précédente, 4. En tant que metteur en scène, pourquoi la présence d’enfants sur scène t’intéresse-t-elle ?

Un jour, un écrivain-journaliste espagnol qui avait une très mauvaise émission de littérature à la télé, fait un entretien avec Peter Handke dans une petite pièce d’un hôtel de la ville de Soria, en Espagne, une ville qui n’a rien de spécial, sans tourisme. L’écrivain-journaliste commence comme ça : « Nous avons l’immense plaisir d’être ici en compagnie de Peter Handke ; comme vous le savez, nous ne nous déplaçons jamais pour cette émission, mais cette fois, nous sommes venus jusqu’à cet hôtel de Soria, à la demande de notre illustre invité. Monsieur Peter Handke, pourquoi avez-vous préféré Soria plutôt que d’accepter notre invitation dans nos studios à Madrid ? » Et Handke lâche, taciturne, au bord des larmes, allez savoir pourquoi : «Seulement à Soria. Rien qu’à Soria ». Bon, je te dis la même chose : des enfants, qu’il y ait des enfants. C’est vrai que si tu me poses la question pour les animaux, je te répondrai de la même façon. « Des animaux, que viennent des animaux ». Les enfants et les animaux sont merveilleux, ils remplissent la planète de caca et de cris, salissent et cassent tout sur leur passage... Je ne comprends pas pourquoi quand ils sont dans mes pièces les gens trouvent ça dérangeant.

Rodrigo García, entretien hTh, mai 2017