16 > 18 mai 2018

Finir en Beauté

Mohamed El Khatib

Finir en Beauté

[–] : Le tiret sépare deux dates. Pour ma mère par exemple, 1950 – 2012. Toute sa vie est contenue dans ce tiret.

Seul en scène, Mohamed El Khatib fait des dernières années de vie de sa mère un spectacle. Pas un spectacle sur le deuil. Ni même sur la mort. Plus certainement, avec ce faux détachement teinté d’humour parfois vachard qui nous le rend étrangement proche, le bonhomme nous parle simplement de chagrin, de filiation, de fratrie. De la culture soudainement encombrante d’aïeux nés dans un pays dont on ignore tout. De leur langue. D’un passé qui nous échappe.
À sa façon, il parle d’exil, et de l’étrange puissance d’un amour qui se joue du temps et des frontières.

Théâtre
16 > 18 Mai
Finir en beauté
Mohamed El Khatib
Finir en beautéEntretien

Inferno  De quelle manière les sms, les mails, ce que vous appelez des « matériaux vies », ont pu rejoindre le cadre de la représentation de Finir en beauté, cette pièce en un acte qui traite du décès de votre mère et s’intégrer aux notes et extraits d’enregistrements sonores et vidéos ?
Mohamed El Khatib  C’est la question des agencements qui est essentielle. Je pense le texte comme un paysage, un tableau où on pourrait circuler librement et pas nécessairement de gauche à droite. Enfant, j’ai commencé par lire de droite à gauche. Ça a l’air anecdotique mais ça façonne un regard je délivre très tôt les règles du jeu et j’essaye de trouver des narrations qui soient les plus ouvertes possibles. Le seul fil narratif est alors la pensée, dans un mouvement d’écriture qui fait claudiquer le sens et heurte la forme. Le cadre du tableau est assez clair pour moi, même si j’utilise des matériaux très hétéroclites. Ma méthode est la suivante : j’accumule tous les matériaux possibles soit sur une période, soit sur une question. Après je fais un premier tri, je ne garde que les choses qui m’intéressent. Je me demande si chaque élément est suffisamment fort en soi. Puis, je pense à un agencement afin de définir un ou des parcours possibles. Je me demande par où je commence, quelle est la porte d’entrée… J’imagine quelqu’un qui circule comme il le voudrait à l’intérieur de ce chemin tracé. Pendant cette construction, j’essaye d’être au plus proche de la vie en maintenant cette idée d’événements qui se télescopent de manière incongrue.
Inferno  L’intégration de ces « matériaux vies » donne l’impression quand on assiste à Finir en beauté que tout est vrai. Est-ce le cas ?
Mohamed El Khatib  Tout n’est pas vrai. Au théâtre, je suis contre par exemple l’idée de produire des effets de réel ou l’idée de décor réaliste. Je ne supporte
plus le théâtre avec des personnages, parce que je n’arrive plus à y croire. Je suis plus sensible au documentaire. Dans 90 % des propositions artistiques, on a affaire à des gens qui se planquent. On dit en substance rassurez-vous, tout va bien se passer, on est au théâtre. Alors qu’au contraire, j’essaie de dire ne soyez pas rassurés, nous ne sommes plus au théâtre, ou plutôt de faire coïncider le théâtre avec la vie, ou plus aisément, je rapproche mon théâtre de ma vie. Nous sommes en prise directe avec quelque qu’un.
Pour autant, pour moi la vérité n’existe pas, la réalité non plus. Quand je parle, je raconte une histoire et cela est nécessairement tronqué. C’est la lecture de ma scène, alors selon l’endroit où l’on se place, on ne voit pas la même chose. Je donne à entendre et voir la version que je désire partager. Cela sert une sensation plutôt qu’une autre. Je garde un cadre réaliste et j’introduis dedans de la fiction pour porter mon propos. Ou plutôt que de fiction, il me faut parler d’écriture.
C’est là l’essentiel pour moi, le témoignage brut ne m’intéresse pas en tant que tel, c’est le passage par la langue qui permet de partager réellement une parole intime…
Inferno  Telle une confession…
Mohamed El Khatib  Mais par l’agencement et le travail d’écriture, c’est par là aussi que surgit nécessairement la fiction, par le rythme notamment. D’autre part, pour moi ce qui est essentiel est la mise à nu du dispositif, l’énonciation des règles du jeu afin de ne pas ajouter de la mystification à notre travail et ne pas faire du théâtre un rapport de domination supplémentaire.
Inferno  Est-ce un principe d’honnêteté que vous instaurez comme un contrat ou un pacte que vous signez tout de suite avec le lecteur/spectateur ?
Mohamed El Khatib  Oui, même si je pense qu’il ne sert à rien de tout dire. Mais plus on va partager notre processus de fabrication, plus on va mobiliser l’intelligence du spectateur qu’on va rendre complice et non pas dindon d’une farce désuète. Je m’acharne à travailler la question des codes pour modifier la perception des objets et changer le rapport aux spectateurs. Aujourd’hui au théâtre, majoritairement, on est encore à l’ère du minitel. Qu’on se comprenne, ce n’est pas de l’usage des technologies dont il s’agit mais il est plutôt question d’adresse : à qui je parle et d’où je parle ? L’engagement politique a malheureusement tendance à se diluer aujourd’hui et par là même cela renvoie aussi aux conditions de production de notre travail.
Inferno  Vous ne croyez pas en la précarité, la fragilité matérielle comme rançon de la création ?
Mohamed El Khatib  Non je crois que c’est un mythe dont il faut se défaire. Par ailleurs, je trouve qu’il existe quelque chose d’infantilisant dans le fait que ce soit autrui qui décide la valeur de votre travail. D’une certaine façon, on est soumis à la spéculation. Aujourd’hui, je bénéficie d’une bulle spéculative favorable, jusqu’à ce qu’elle éclate. Après, je ne crois pas à la précarité comme moteur de la création, non quand on est précaire on a plus d’emmerdes, point.
Ça ne fait pas de vous un meilleur écrivain. Pour le reste, je gagne 2400 euros par mois et ça m’est suffisant pour bien vivre. Je suis fils d’ouvrier, je connais la valeur du travail, et faire du théâtre croyez-moi, c’est difficile, mais ce n’est pas un sacerdoce. J’écris, je joue et j’arrive à en vivre. Pour moi, le plus grand luxe est de pouvoir décider des sujets que je traite et de travailler avec des gens que j’aime. Cette liberté-là n’a pas de prix.
Inferno  La censure aujourd’hui serait-elle d’avantage présente du côté des producteurs, que des auteurs ?
Mohamed El Khatib  Le système théâtral, comme le reste de la société, s’est ancré dans des logiques marchandes. C’est une course à l’audimat qui génère doucement des formes de censure. Les objets artistiques sont de plus en plus calibrés. On observe une circulation circulaire des mêmes objets qui passent d’une scène nationale à l’autre. Du coup, il existe très peu de lieux de prise de risque et d’audace. Car il y a un manque de courage politique avec cette logique de rentabilité. Pour se détourner de ces schémas, soit on opte pour les réseaux underground, souvent jusqu’à l’essoufflement… Soit on cherche des niches mais il n’y en a pas beaucoup. En Belgique j’ai pu trouver d’autres alternatives heureuses comme L’L à Bruxelles par exemple. Un endroit dédié à la recherche et où c’est cette même recherche, sans obligation de résultat qui est financée.
Inferno  Comment parvenez-vous à parler de sujet comme la mort d’une manière vivante, drôle, simple, touchante ?
Mohamed El Khatib  Je ne me pose pas la question. C’est la distance qu’introduit l’écriture qui me permet de développer un rapport et une présence simple. Par la mise en forme, on sort de l’anecdote pour aller vers quelque chose de plus universel. En ce qui concerne la question du deuil, je fais théâtre de ce qui m’entoure. Je suis confronté à la disparition de ma mère d’accord, mais comment puis-je traiter cette question tragique et pathétique à la fois, alors que j’ai envie de partager mon appréhension de ce deuil de façon presque heureuse. Et je ne sais pas comment faire autrement qu’en y injectant naturellement un certain humour qui n’est rien d’autre qu’une forme de pudeur. En somme, de la délicatesse pour ne pas être plombé par la mort.

Propos recueillis par Quentin Margne
Inferno Magazine

état d'esprit-bioPortrait

On regarde Mohamed El Khatib, qui a joué à guichet fermé cet été en off au Festival d’Avignon, refaire une fois de plus sous nos yeux ce parcours de la peine, qu’il emprunte sans gravité, en pointant plutôt les aspects dérisoires. Tel cet imam, pendant l’enterrement au Maroc, qui ne prie que d’une main, parce que de l’autre il envoie des textos, ou le père qui a corrigé au Tipp-Ex une faute d’orthographe sur le nom de son épouse mal écrit sur la pierre tombale. La biographie de Mohamed El Khatib est relativement insolite. Il a grandi dans le Loiret, devait entrer au centre de formation du PSG avant qu’une blessure au genou ne mette un terme à ses espoirs sportifs. Il a fait khâgne et Sciences-Po, puis une thèse de sociologie, a cofondé un collectif de danseurs, comédiens et plasticiens en 2007, répondant au nom de Zirlib, sur un postulat simple : «L’esthétique n’est pas dépourvue de sens politique.» Parce que le spectacle est plutôt un moment commun à partager, à la fin, il ne salue pas, s’esquive et attend dehors. On peut lui serrer la main.

Didier Péron, NEXT, 1er octobre 2015

Finir en beautéPresse

Pour Mohamed El Khatib, Avignon commence en beauté

Tout est juste, dans Finir en beauté. Il suffit de connaître l’essentiel : il n’est pas question, dans ce spectacle, du «travail de deuil» ni de « résilience », ces deux choses affreuses qui donnent l’illusion que la mort d’un proche se gère comme une question à régler, et que l’on peut facilement réparer les vivants. Mohamed El Khatib dit ce qui est : sa mère est morte et elle lui manque. (...) Cela s’appelle avoir du chagrin, mais ce chagrin s’accompagne d’humour, d’histoires et d’allers-retours entre le Maroc et la France.

Le Monde – juillet 2015 - Brigitte Salino

Subversion par la modestie

La simplicité du dispositif s’accorde à la profondeur du propos, à l’immense délicatesse teintée d’humour avec laquelle Mohamed El Khatib raconte la maladie et la mort de sa mère, son deuil et sa culpabilité, son double héritage culturel entre la France où il est né et le Maroc où elle sera enterrée. (...) De sa mère, on verra deux photos, deux images fixes entre lesquelles se déroule le récit, que n’alourdit aucun pathos mais qui se range résolument du côté de la vie. “Je ne suis pas en deuil, j’ai du chagrin”, écrit-il dans son Carnet de notes.

Les InRockuptibles – octobre 2014 - Fabienne Arvers

Arpentage délicat de la mémoire
Pour incarner le récit auto-fictionnel de ces mois de lente séparation, Mohamed El Khatib se montre étonnamment décontracté, en même temps que profondément vrai, avec une teinte qui fait parfois songer aux meilleurs accents de la comédie familiale et sociale italienne. Il se comporte en entomologiste de la relation mère-fils, pour l’évaluer, et la dénouer, puisqu’il le faut. S’il use des mots les plus simples, mais alors d’autant plus marquants, sa composition est très finement complexe. Il n’en découle pas un tourbillon irrépressible, mais un arpentage très délicat, d’une mémoire aux sources d’un passé d’événement récent. (...) Finir en beauté paraît un miracle de la juste mesure, de l’exacte distance, qui fait transcender le réel quotidien sur une scène, et jusqu’au delà du traumatisme de la mort.

Mouvement – novembre 2014 - Gérard Mayen

L’amour de la langue
C’est un autre écrivain que l’on connaît bien, Mohamed El Khatib, qui propose de Finir en beauté dans une forme très particulière. Entre lecture, jeu, film et son, il raconte, lui-même étant en scène, la mort de sa mère, venue du Maroc. C’est d’une intelligence et d’une liberté merveilleuses, d’une pudeur magnifique.

Le Figaro – juillet 2015 - Armelle Héliot

A touching and humorous exploration of family and loss by award-wining french artist Mohamed El Khatib. He was the hit of last year’s Avignon Festival and is now acclaimed as one of the leading voices in French contemporary theatre. A Beautiful Ending is a haunting but often funny account of a monumental moment in his life.

New York Times - janvier 2016

Finir en beautéextrait

15 janvier 2012

Mon père reçoit un courrier estampillé "Banque Chaabi"- la banque du peuple. Il ne retrouve pas ses lunettes et me demande de lui lire.

- Tu as un arriéré de 75 euros au titre de l'assurance rapatriement.

- Ah d'accord.

- Qu'est-ce que c'est ?

- C'est l'assurance rapatriement.

- C'est-à-dire ?

- C'est pour qu'en cas de décés nos corps soient rapatriés au Maroc.

- Maman et toi ?

- Oui, et vous aussi.

- Je croyais que c'était moi qui décidais où je voulais être enterré.

- Oui c'est toi qui décides, mais au Maroc.

Finir en beauté, Mohamed El Khatib, ed. Les Solitaires Intempestifs, p26.