création et première

In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3)*

dossier de presse

In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3)*

Robyn Orlin

Dans les rues de Lower East Side, un véritable trafic de boîtes en carton s’opère, surtout si elles sont suffisamment grandes pour former des demeures éphémères, des abris de fortune à celles et ceux qui vivent dans la rue. Objets de convoitise, dont la possession est parfois la cause de violentes bagarres, elles jonchent les trottoirs et portent en elles des histoires. Avec leur frêle structure et fragilité apparente, elles sont la mémoire des gens qui sont sans pays, sans abri, mais qui, dans un coin, révèlent leur résistance et leurs mécanismes de survie.

C’est dans cet éclectique quartier de New York qu’en 1994, Robyn Orlin, faute de trouver un lieu pour travailler, décide de créer un solo dans une boîte en carton. Dans la pénombre, la chorégraphe sud-africaine plie et déplie cette boîte, dans une profusion de gestes où se mêlent inventions farfelues, dénonciations ironiques et franches provocations. Quelques années plus tard, alors qu’elle habite en Europe, ces habitacles de fortune lui reviennent en mémoire. En 2022, au sortir du confinement, Robyn Orlin décide alors de transmettre son solo à Nadia Beugré, puis en 2024 à Marta Izquierdo Muñoz.

Danse
29 > 31 Janvier
lun 29 jan / 19:00mar 30 jan / 19:00mer 31 jan / 19:00

durée 1h environ
Création / première en France / coproduction / présenté avec La Place de la Danse
Tarifs B : généraux de 12 à 16 € / adhérent·es de 10 à 12 €
Logo La Place de la Danse
In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3)*Entretien

T’a-t-on déjà transmis une pièce chorégraphique ?

Oui, une fois pendant mes premières années en France en tant qu’interprète de Catherine Diverrès. Elle avait réalisé « Echo » pour le Festival international de danse de Cannes en 2003, un projet qui compilait des extraits de pièces de son répertoire. Pour moi, il s'agissait plutôt d'une sorte d’exercice, mais pour Catherine, c'était une façon de partager avec nous sa mémoire de chorégraphe. Comme interprète je n’avais pas pu mettre beaucoup de moi-même car il s’agissait de transmission chorégraphique pure, seulement basée sur le mouvement. Je m’étais déjà demandée quelle était la place de l’histoire personnelle dans cet exercice de la transmission.

Dans quel état d'esprit et de corps abordez-vous cet exercice ?

La proposition m’invite à travailler autour d’une thématique qui m’est chère, celle des personnes marginales, mais en l’abordant sous un angle différent du mien. C’est pour cela, qu’outre mon intérêt pour la personne qu’est Robyn, j’ai tout de suite été enthousiaste à l’idée de dialoguer avec une autre créatrice qui me déplace vers sa proposition et me permet d’explorer à partir d’un angle qui n’est pas celui que j’aurais choisi au départ. Ce que me propose Robyn, c’est une transmission au sens beaucoup plus large, beaucoup plus ouvert, une recréation à partir de ma propre histoire, réelle et fictive. C’est une façon de construire des projets qui se rapproche finalement assez de ce que je faisais dans mes tous premiers solos chorégraphiques, où je travaillais sur l’incarnation d’un personnage, de manière assez théâtrale. Sauf, qu’il y a ici une contrainte de départ plus forte qui est l’œuvre et l’histoire de Robyn. C’est aussi un accompagnement et un écrin artistique privilégié et le passage de relais d’une aînée, alors que lors de la dernière décennie, c’est plutôt moi qui ai transmis mon histoire et mon expérience à de nouvelles générations.
Je prends ce projet avec beaucoup de curiosité. J’étais excitée par l’idée de construire un protocole de rencontre et de commencer un dialogue tout d’abord entre deux femmes, puis de deux femmes artistes. J’aime quand je ne sais pas ce qui va se passer.

Comment s'est passée la rencontre avec Robyn ?

La rencontre avec Robyn a été…. profonde, je me suis sentie comme avec une amie, comme si on se connaissait depuis longtemps. On a construit très vite un cadre de confiance. Robyn démarre le travail avec des conversations, des réflexions… Les premières séances, nous avons mis en parallèle nos histoires personnelles et artistiques. Robyn a laissé de l'espace à la rencontre et au dialogue pour que nous puissions renouveler ce solo. Je lui ai très vite exposé aussi mes questions sur la manière de m’approprier ce solo et on a trouvé les premiers éléments de réponses dans le studio.
Les premiers jours, Robyn m’a transmis ce qui avait été le moteur de la création de son solo, ce qui l'avait amenée jusque là. Elle m’a montré l'objet avec lequel elle travaillait : cette boîte en carton, comme celle des SDF. Nous avons ensuite parlé de ce sentiment de ne pas avoir de maison, la thématique principale de ce solo, et j’ai cherché quels avaient été les moments dans ma vie où j’avais été confrontée à cette sensation.
J’ai aimé chez Robyn son goût pour le travail à partir de la personne qui est au plateau, d’imaginer des matériaux chorégraphiques possibles à partir de nos conversations. Aussi sa manière de laisser voir et entendre ce que le performer vit, imagine, ou désire faire sur le plateau, mais aussi de nommer l’ennemi et de pointer ce que produit un pouvoir dictatorial sur nos vies. C’est une thématique qui redevient cruellement d’actualité avec la montée des idées d'extrême droite. Partout dans le monde, et notamment en Espagne et en France, où les populations les plus fragiles sont les premières victimes, mais aussi certain·es artistes et directeur·ices de lieux culturels…

Quelle lecture fais-tu de In a Corner the Sky Surrenders… ?

Perçu à travers le prisme de cet exercice de re-création, In the corner… est un voyage fictionnel, c’est aussi une réflexion sur le féminin et un spectacle qui parle de l’impact du fascisme sur la sphère intime.
C’est curieux car plus le travail avance avec Robyn, plus je vois les liens avec mon tout premier projet chorégraphique, She’s mine créé en 2008 au Festival d’Avignon, que je viens d’ailleurs de rejouer en Guyane : un solo fondateur aussi, un portrait de femme marginale assez théâtral, l’économie de moyen (un cabas de course et un rouleau de papier craft, en extérieur…) J’ai même envisagé de le transmettre à mon tour, comme le fait Robyn avec moi, avec le désir de prolonger cette si généreuse chaîne de transmission !  Mais ce travail fait également étrangement écho à la pièce de groupe que j’écris en ce moment, ROLL (Festival de Montpellier 2024) et dans laquelle j’interroge aussi mes souvenirs personnels d’une post-dictature : le franquisme espagnol, et les raisons qui m’ont amenée à partir… Bref, In the corner résonne à plein d’endroits de mes préoccupations actuelles, c’est vraiment extrêmement nourrissant pour moi, et il tombe au bon moment dans mon parcours !

Vous semblez partager avec Robyn le travail autour des marges et des figures laissées-pour-compte. Est-ce que tu as pu / tu peux faire raisonner et exister des choses intimes et personnelles à travers cette recréation ? 

Oui c’est vrai, il y a ces points en commun que j’évoquais déjà plus haut…
Et oui, j’ai pu mettre des choses intimes car les questions et conversations proposées par Robyn m’ont renvoyée au moment où j'ai quitté l'Espagne, Madrid, ma ville natale, pour aller chercher du travail en France. Ce moment où j’avais mis mes affaires dans une valise et où je suis allée dans un pays dont je ne parlais pas la  langue ; j’étais dépaysée, sans trop de repères, et en effet je n’avais plus de lieu à moi. J'ai également essayé de me souvenir des raisons pour lesquelles j'étais partie. Les raisons étaient liées au besoin de me développer comme personne, comme femme et comme artiste. Le peu de soutien donné à la recherche artistique à Madrid à un moment où j’en avais un besoin vital m’avait poussée à prendre cette décision. Madrid et l’Espagne avaient été trop longtemps coupées du reste du monde pendant la dictature franquiste, et je trouvais que pour une femme, l’éducation était trop stricte, c’était dur ! Si en plus la femme était danseuse comme moi, les personnes des générations précédentes me renvoyaient que la figure de la danseuse était encore assimilée à celle de la prostituée... Bref… C’était difficile de trouver sereinement sa voie dans un tel contexte. Ma famille, issue d’un milieu populaire, ne me soutenait pas dans cette démarche, et j’ai commencé à payer mes cours de danse classique en dansant dans d’énormes poupées pour les enfants à la TV espagnole, ou en faisant la gogo danseuse dans des boîtes de nuit. 
Pour Robyn, la raison de quitter son pays avait été l'apartheid. Tandis que moi, j’ai fui l'héritage de la dictature de Franco, car même si je n’avais que trois ans quand il est mort, et que j’ai surtout grandi dans ce formidable mouvement de libération qu’était la movida madrilène. Dans le quotidien, les choses avaient du mal à changer….

T'es-tu emparée d'In a Corner the Sky Surrenders... ?

À ce stade du travail, il est peut-être encore trop tôt pour le dire, mais oui, je crois ! Nous avons construit un nouveau personnage pour ce solo, à partir de moi et de ce que je dégage quand on me voit travailler. Il s’agit d’un personnage féminin qui pourrait être issu de la movida madrilène ou bien un personnage marginal de mon quartier de Carabanchel, dans le sud de Madrid, quartier connu entre autres parce qu’il y avait la « Carcel de Carabanchel », une prison construite pendant le régime franquiste. Pendant les années après la dictature, cette prison est devenue un lieu de revendication politique et de recherche de l’amnistie pour les prisonniers qui avaient été, pour la plupart, des dissidents du régime. Les rues de ce quartier étaient peuplées de marginaux comme ceux qu’évoquent la pièce : beaucoup de junkies et de Gitans, mais aussi des familles pauvres issues de l’exode rural, comme ma famille.
Tout ça,  alors qu’en même temps, au centre de Madrid, les artistes inventaient la movida madrilène, mouvement de contre-culture, qui se passait surtout dans les lieux nocturnes, les boîtes de nuit, les bars.
Le personnage d' In a corner… sera donc marginal, mais aussi issue de la culture populaire, comme les icônes du cinéma ou de musique mainstream, figures que recyclaient déjà les artistes pendant la movida madrilène .
Au travers de cette figure, je m’exprimerai avec toute mon histoire, mais respectant le canevas imaginé par Robyn sur In a corner...  J’ai l’impression qu’à la fin, ce qu’on verra sera une sorte de croisement entre l’histoire de Robyn et la mienne. C’est en tout cas ça l’idée.

Entretien réalisé par Pauline Lattaque, décembre 2023

In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3)*Entretien

Qu’entendez-vous par archiver votre travail ?

Robyn Orlin : C’est bien ce qu’il me faut désormais tirer au clair et je commence à y réfléchir. En tout cas, l’archivage est peut-être la direction qu’il me faut pendre à l’avenir. Rien n’est certain, mais j’ai aujourd’hui 66 ans et je n’éprouve plus la nécessité ou le désir d’être sur scène. Mais en vérité, tout mon travail a consisté à archiver, car il s’agissait toujours de travailler à partir de mon expérience de la vie et de ce que j’éprouvais.

Commençons donc par ce solo, de son plein titre : In a corner the sky surrenders, en français : Dans un coin, le ciel se rend, titre étonnamment bref quand on le compare avec ceux de vos autres pièces. Vous avez créé ce solo à New York alors que vous étudiez à Chicago. Un tournant dans votre approche de la scène ?

Robyn Orlin : En effet, c’est mon titre le plus court ! Ce solo était mon premier travail après mon diplôme, un master beaux-arts au Chicago Arts Institute au département 4D, à vocation transdisciplinaire. Ce qui voulait dire qu’on pouvait en gros faire ce qu’on voulait. C’est à partir de là que j’ai commencé à travailler différemment. Avant, mes créations étaient explicitement politiques et abordaient les problématiques de l’apartheid. J’avais besoin de me détacher de ça, puisque je m’étais rendue compte que dans la lutte en Afrique du Sud, il n’y avait pas de place pour moi. Il fallait que je passe à autre chose. Mais en vérité, je ne suis jamais passée à autre chose, j’ai juste changé ma méthode de travail. Aujourd’hui encore les conséquences de l’apartheid prennent une grande place dans mes créations. Tous les problèmes de l’Afrique du Sud existent parce que nous n’avons pas vraiment résolu les questions de l’apartheid.

En quoi consiste le changement d’approche artistique à partir de 1994 que vous venez d’évoquer ?

Robyn Orlin : En étudiant l’art vivant à Chicago, je me suis rendue compte que cette discipline n’était pas une forme de danse, même s’il peut être pratiqué par une personne formée en danse. Mais il s’agit de travailler à partir de concepts et théories de l’art. Cette découverte m’a portée jusqu’à aujourd’hui alors que dans certaines de mes pièces on danse beaucoup, comme justement dans We wear our wheels with pride and slap your streets with color ... we said ‘bonjour’ to satan in 1820 ... Comme tous mes spectacles, cette pièce s’appuie sur un concept fort. Mais dans In a corner... il y a effectivement très peu de danse. J’y explore un espace rectangulaire très serré et je ne ressentais.

Extrait d'un entretien mené par Thomas Hahn pour le Festival d'Automne

Presse

(...) Un seul en scène en réponse à l’extrême pauvreté de la rue et à l’impossibilité pour la chorégraphe sud-africaine de répéter dans un lieu digne de ce nom. À revoir à Chaillot – Théâtre national de la danse, le premier spectacle coup de poing d’une carrière militante et prolifique.

Si elle a démarré sa carrière en 1994 avec ce solo coup de poing, réalisé avec un carton, semblable aux abris de fortune des « sans domicile fixe », ce n’est en 2003 que Robyn Orlin remporte une reconnaissance internationale avec le Laurence Olivier Award décerné à son spectacle Daddy, I have seen this piece 6 times before and I still don’t know why they’re hurting each other. La chorégraphe ne cessera dès lors de dénoncer le racisme en Afrique du Sud, dont elle est originaire.

Avec in a corner… le spectateur est amené à s’interroger sur la précarité. La scène est occupée par un carton suffisamment grand pour y faire entrer une personne. Tout au long de ce carton sont fixées des lumières qui serviront d’appuis au jeu et d’uniques projecteurs. À jardin et à cour, à vue, des techniciens actionnent ces petites lumières et une bande son faite de bruitages. À l’avant-scène une maquette de locomotive qui occupe le proscenium tournera sur un petit circuit tout le long du spectacle. (...)

Extrait d'un article de Jonathan Chanson, dans Res Musica, 11.11.22

Portrait

Robyn Orlin est née en 1955 à Johannesburg. Surnommée en Afrique du Sud « l’irritation permanente », elle révèle, à travers son œuvre, la réalité difficile et complexe de son pays en y intégrant diverses expressions artistiques (texte, vidéo, arts plastiques…). Ses premières œuvres, parmi lesquelles Daddy, I’ve seen this piece six times before and I still don’t know why they’re hurting each other (1999) ou we must eat or suckers with the wrappers on (2001) lui valent une reconnaissance internationale. De septembre 2005 à la fin 2007, Robyn Orlin est accueillie en résidence au CND de Pantin, où elle crée When I take off my skin and touch the sky with my nose, only then I can see little voices amuse themselves… et Hey dude… i have talent… i’m just waiting for god… un solo pour la danseuse-chorégraphe Vera Mantero. Invitée à l’Opéra de Paris en 2007, elle y crée L’Allegro, il penseroso ed il moderato (musique de Haendel), puis présente deux ans plus tard, Babysitting Petit Louis au Louvre, avec huit gardiens du musée. Ses œuvres récentes incluent Oh Louis… We move from the ballroom to hell while we have to tell ourselves stories at night so that we can sleep (2017), avec Benjamin Pech, Les Bonnes (2019) et we wear our wheels with pride and slap your streets with color… we said ‘bonjour’ to satan in 1820… (2021), avec les danseurs de Moving Into Dance Mophatong.

Elle a présenté à Garonne l’étonnante performance And so You See... (2017), une transposition des Bonnes de Jean Genet (2019), et avec les danseur·ses de la cie Moving into Dance We Wear Our Wheels with Pride and Slap Your Streets with Color... We Said ‘Bonjour’ to Satan in 1820... (2022).

In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3)*Générique

*Dans un coin, le ciel capitule - Voyages spirituels à travers la mémoire #2 pour Marta

un projet de Robyn Orlin
avec Marta Izquierdo Muñoz
création lumière et régie générale Alessandro Pagli
créateur son Benoist Bouvot
costumes Birgit Neppl
diffusion Damien Valette
coordination Alice Tabernat

production City Theatre & Dance Group
coproduction théâtre Garonne – scène européenne, Toulouse, La Place de la Danse - CDCN Toulouse Occitanie

créé à Toulouse le 29 janvier 2024