5 > 9 nov

La Plaza

El Conde de Torrefiel

La Plaza

El Conde de Torrefiel [Espagne]

Combinaison moulante qui recouvre le corps dans son intégralité, comme une seconde peau, généralement en élasthanne, le zentaï est le point de départ de La Plaza. Quoi de mieux pour parler de l’uniformisation de la société, des individualités gommées ? C’est sur une place publique que les différents tableaux prennent vie, espace où nous nous croisons, sans jamais vraiment nous rencontrer ; espace qui abrite le ballet incessant de solitudes amassées. Pour ce projet, la compagnie El Conde de Torrefiel, fondée par Tanya Beyeler et Pablo Gisbert mise sur trois éléments-clés : le son, le texte projeté (jamais prononcé) et les tableaux vivants muets composés par des interprètes locaux. Ici, des toulousains donc ! Ils chorégraphient notre quotidienneté, nos attitudes et allures, ils interrogent crûment nos responsabilités sociales et nos libertés individuelles, et dressent ainsi le portrait du monde en modèle réduit. Leur regard est décalé, d’une pertinence quasi dérangeante tant tout nous est familier. Spectateurs et spectatrices passent au crible cette place publique et deviennent leur propre objet d’étude, presque contraint.es de s’observer…

Nous aurions dû découvrir la saison passée le travail d’El Conde de Torrefiel avec La posibilidad que desaparece frente al paisaje et Kultur, mais après discussion avec la compagnie, ils ont préféré présenter La Plaza, plus à propos selon eux, en période post pandémique.

> TEASER DU SPECTACLE

Théâtre
5 > 9 Novembre
ven 5 nov / 20:30sam 6 nov / 20:30lun 8 nov / 20:00mar 9 nov / 20:00
avec le soutien de l'Institut Ramon Llull

durée 1h20
Spectacle en espagnol surtitré en français
tarifs généraux de 12 à 20 € / tarifs adhérents de 5 à 15 €
Ramon Llull
La Plaza Note d'intention

"Voir qu'il n'y a rien à voir est encore pire que de ne rien voir du tout."

Tanya Beyeler et Pablo Gisbert

La Plaza, commence par une fin, la fin d'une pièce qui a duré 365 jours et dans laquelle il ne s'est absolument rien passé. La lecture des pensées qui se bousculent dans la tête d'un des spectateurs devant cette seule image est le seul mouvement sur scène. Cette phase initiale hypnotique devient rapidement le chemin d'un individu qui retrace son passage dans le monde à travers ses pensées. Un paysage en mouvement qui mute imperceptiblement à travers les mots projetés, où des personnages du quotidien sont dépeints de manière troublante, sans visage mais reconnaissables par leur identité sociale. Les pensées, les idées, les sensations et les souvenirs que nous lisons configurent un regard et signifient de manière aléatoire ces tableaux vivants qui constituent le monde extérieur. Une réalité donnée par la perception subjective qui pénètre notre conscience et d'où émerge parfois, à partir de la plus grande simplicité, quelque chose de plus profond et de plus inquiétant.
La Plaza dessine un paysage impressionniste au moyen de lumières, de sons et d'une esthétique éthérée et spectrale, qui prend l'espace public comme un paradigme réduit du monde contemporain. Un espace et un temps dont les limites sont brouillées par une réalité vaporeuse, construite de vies rendues invisibles presque par omission volontaire ; une réalité fondue, dissoute par de nombreuses subjectivités qui cohabitent, sans se toucher.
La Plaza est racontée à la deuxième personne du singulier, annule le je ou le nous en tant que représentation collective et active un jeu de perception d'un monde forcé, aliénant, immobile, proche de la mort et du néant où les autres n'atteignent que la catégorie de l'image ; une image superficielle qui peut à peine être touchée.

Tanya Beyeler et Pablo Gisbert construisent des points de vue au sens propre, des observatoires, des œuvres d'observation, des plateformes d'observation, des panoramas. Presque tous leurs premiers titres obligent à la simple instance du regard ( Observen cómo el cansancio derrota el pensamiento en 2011, Escenas para una conversación después del visionado de una película de Michael Hanneke en 2012, et La posibilidad que desaparece frente al paisaje en 2015). Et à la dimension littéraire et textuelle quasi absolue de leur travail, répond, de manière naturellement paradoxale, une spectralité tout aussi absolue : celle d'un public dont les membres ne se découvrent "purs" spectateurs qu'à condition d'être avant tout lecteurs et auditeurs. (...)
Peut-être que ce pacte de naufrage avec le paysage comme paradigme de la pensée, avec le panorama comme le dernier lieu de la rigueur poétique, et maintenant avec la place comme dernier marché pour négocier l'éclipse de tout paysage ou panorama, est ce qui définit le mieux la singularité artistique du projet d'El Conde de Torrefiel. Dans une époque détournée par la médiation et asphyxiée par la mutilation de toutes les distances, il n'y a pas d'exploit plus urgent et inédit que de concéder à l'éloignement une forme ultime d'émancipation. (...)

L'optimisme des arts tend à passer par la myopie, l'astigmatisme, la cécité et le somnambulisme. Les visions du tout sont toujours des abstractions. Dans cet état de fait, le seul réalisme, la seule concrétude sont de nature hallucinatoire. Et El Conde a des hallucinations avec une clairvoyance extraordinaire. Et il formule ses prophéties avec un parfait scepticisme.

La Plaza Extrait de La Plaza

(...) J'ai essayé de passer mon temps de la meilleure façon possible. J'ai eu un temps pour la jeunesse,
un temps pour l'amour,
j'ai eu un temps pour l'aventure,
un temps pour la réflexion,
un temps pour le sexe.
J'ai fait des expériences avec mon propre corps,
j'ai touché d'autres corps et j'ai aimé ça,
j'ai désiré d'autres corps que je n'ai jamais pu toucher.
J'ai cru que la puissance de la jeunesse était inépuisable,
et j'ai découvert que la puissance de la jeunesse commençait à me manquer.
J'ai parlé de sport, j'ai parlé de musique,
j'ai parlé de voyages, j'ai parlé de paroles.
J'ai perpétué une tradition sans me poser de questions,
j'ai défendu des valeurs apprises, sans me poser de questions,
j'ai obéi à des lois qui avaient déjà été adoptées,
j'ai admiré des symboles qui avaient déjà été légitimés,
j'ai parlé la langue que l'on m'a apprise
et, à partir de tout cela, mon cerveau a conçu un plateau sur lequel vivre :
et tout cela, je l'ai appelé culture.
Et participer à tout ça m'a fait me sentir plus fort
car cela nourrissait en moi un sentiment d'appartenance à un groupe,
car cela me donnait une légitimité en tant que personne.
Et la complexité de ce subtil et imperceptible mouvement idéologique,
je l'ai appelée vie.
À aucun moment, je ne me suis arrêté sur le fait qu'en réalité, j'avais seulement été capable de reproduire l'image de ce qu'on attendait de moi :
travailler, baiser et mourir.
Je suis la victime civile,
je suis le destinataire des offres promotionnelles,
je suis le pourcentage des sondages,
je suis le libre marché,
je suis l'électeur,
je suis le lecteur de gros titres,
je suis l'adepte qui regarde le football,
je suis celui qui boit dans les bars,
qui danse en boîte de nuit et qui se promène sur les places.
Je suis le monde et son histoire, je suis l'histoire du monde.
Mais finalement, je suis arrivé chez moi et je n'ai pas pu m'endormir, car dans mon cerveau, il existait une vérité ineffable :
J'ai perdu mon temps.
La confusion est d'une telle ampleur que, malgré ce qu'elle devrait provoquer en moi,
je ne peux m'empêcher de ressentir le monde comme une image. (...) 

La Plaza, Pablo Gisbert

Portrait

Le nom d’El Conde de Torrefiel (Le comte de Torrefiel) est le nom de la rue dans laquelle Pablo Gisbert est né. C’est surtout le nom de la compagnie qu’ont fondée Pablo Gisbert et Tanya Beyeler en 2010. Ce titre aristocratique donné à leur compagnie est un pied de nez au peu de ressources dont ils disposaient à leurs débuts, à leur condition d’artistes pauvres ; c’est aussi la volonté de ne pas oublier qu’ils viennent d’une classe modeste. Derrière ce nom se cache aussi une anecdote historique qu’ils s’amusent à lier (avec pertinence) à la nature de leur travail : le premier comte de Torrefiel était un amant de la reine Isabelle II d’Espagne, il serait le père caché du roi Alfonse XII, ce qui ferait de lui un roi illégitime. Ça tombe bien car El Conde de Torrefiel fait du « théâtre bâtard », un mélange de différentes pratiques, un théâtre pluridisciplinaire et indiscipliné : toujours en mouvement, insaisissable, auquel on ne collera jamais aucune étiquette et qui se défend de toute utilité.
C’est à la croisée du théâtre et de la performance que se situe le travail de Pablo Gisbert et Tanya Beyeler. Ils partagent ensemble cette complémentarité précieuse leur permettant dialogue et confrontation, chemin nécessaire pour faire jaillir au plateau cette humanité insondable. Pour chaque pièce, ils s’entourent de beaucoup de personnes et d’artistes venu.es de tous bords, composant ainsi leurs équipes artistiques.  Le fait même de se réunir autour d’un projet est pour eux déjà un acte de création. Seuls mots d’ordre : confiance et émulation. Le point de départ se cantonne toujours à des questions qu’ils se posent en tant que citoyen.es, c’est pourquoi El Conde de Torrefiel parle à chacun.es d’entre nous, sous des angles différents. Leur théâtre réinstaure le 4e mur pour permettre un retour à l’érotisme : ils tentent de ne pas toucher directement le public mais de le titiller pour lui rendre ce rôle de témoin actif, conscient de ce qu’il reçoit, au plus proche de ses sensations et impressions. Leur théâtre fait état du monde contemporain mais ne produit aucune pensée dogmatique, aucune analyse politique car, selon eux, « les œuvres ne doivent pas se fermer en postulant, mais s’ouvrir en interrogeant ». C’est un théâtre de l’émotion, de la poésie, du présent où toutes les subjectivités peuvent exister librement.

Pauline Lattaque

La Plaza Presse

"Et ce ­va-et-vient entre l’espace public et l’espace intime fait entendre un bruit du monde qui rappelle ­Michel Houellebecq : sans pitié et encourageant, parce qu’il ne ­triche pas avec le vide et la peur."

Brigitte Salino, Le Monde, mai 2018

"Le collectif barcelonais dirigé par Tanya Beyeler et Pablo Gisbert fait de la scène le miroir d’une société sombrant dans la morosité et confirme sa capacité à inventer des formes aussi innovantes qu’insolites. (...) Le travail proposé n’assène pas de thèse, il (re)donne à voir, non pour stigmatiser mais pour inviter à penser, à réfléchir à l’individu et à la communauté, à la relation entre l’espace et l’être, à la communication et à la consommation. C’est tout cela que cristallise « La Plaza ». La performance agit véritablement comme un révélateur."

Christophe Candoni, iogazette.froctobre 2018

"Tout au long de cette promenade nietzschéenne, des questions existentielles nous assaillent avec légèreté et humour. Pablo Gisbert et Tanya Beyeler décrivent avec ironie et poésie notre société du XXIè siècle. El Conde del Torrefiel réussit à mettre poétiquement de la distance par rapport aux images ; une distance brechtienne adaptée au XXIème siècle, où la politique a bien évolué. Un regard critique est posé sur le monde dans lequel nous vivons ; un questionnement sans morale ni idéologie, qui fait appel à nos émotions et sensations."

Anouk Luthier, lebruitduofftribune.comoctobre 2018

La Plaza Générique

idée et création El Conde de Torrefiel en collaboration avec les interprètes
mise en scène et dramaturgie Tanya Beyeler et Pablo Gisbert
texte Pablo Gisbert
lumières Ana Rovira
son Rebecca Praga
scénographie El Conde de Torrefiel et Blanca Añón
costumes Blanca Añón
robot Oriol Pont
direction et coordination technique Isaac Torres
techniciens en tournée Javi Castrillón, Roberto Baldinelli, Adolfo García avec Amaranta Velarde, Albert Pérez, Gloria March, David Mallols, Monica Almirall, Nicolas Carbajal et 9 interprètes locaux
responsable de la diffusion et des tournées Caravan Production, Bruxelles
production Kunstenfestivaldesaarts, Bruxelles et El Conde de Torrefiel
coproduction Alkantara et Maria Matos Teatro (Lisbonne), Festival d'Automne, Centre Pompidou (Paris). Centre Pompidou (Paris), Festival GREC (Barcelone), Festival de Marseille, HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Mousonturm, Frankfurt am Main, Triennale di Milano, Vooruit (Gand), Wiener Festwochen (Vienne), Black Box Theater (Oslo), Zurcher Thetaerspektakel (Zürich)
avec le soutien de Zinnema (Bruxelles), du Festival SÂLMON, du Mercat de les Flors et d'El Graner - Centre de Creació de Barcelone, du Centre de Création Fabra i Coats, du INAEM Ministère de la Culture, de l'Institut Ramon Llull, d'ICEC-Generalitat de Catalunya