17 > 20 oct 2018

Paradiso

Richard Maxwell
& The New York City Players

Paradiso

Richard Maxwell
New York City Players [États-Unis]

Je ne sais pas ce que tu peux bien faire, j’espère que tu vas bien, j’espère que tu prends plaisir à voir la lumière, je sais que moi je le faisais. S’il te plaît, prends plaisir à voir la lumière, chaque jour qui passe. Il y a des chances que tu voyages, alors profites-en pour te perdre. Traverse les hautes plaines que chaque jour t’offre. Puisses-tu apprécier chaque jour qui passe, et voir tes enfants faire de même.

Paradiso, Richard Maxwell

Ça commence comme dans un film de David Lynch : sur une scène étrangement éthérée, quatre acteurs débarquent, au son de Shine on You Crazy Diamond des Pink Floyd, à bord d’un gros 4x4 immaculé : un véhicule taillé pour la conquête des grands espaces, et nul doute que pour un Américain, le Paradis n’est rien d’autre qu’un grand espace à conquérir : un de plus, mais le dernier. Avec Paradiso – deuxième volet d’une trilogie inspiré par la Divine Comédie de Dante – Richard Maxwell nous projette dans un futur dystopique et dessine, dans un kaléidoscope de monologues tour à tour poignants ou militants, un monde d’après le monde : un robot (très) low-tech nous souhaite la bienvenue de sa voix synthétique, une mère mourante dit à son fils son désir de quitter cette terre, à certains moments il est question d’une guerre qui a tout anéanti, et durant tout le spectacle on saisit les dernières ressources d’une humanité exténuée qui veut continuer à vivre. Autant de souvenirs, partagés par ce fragment d’humanité échoué sous nos yeux, qui composent un portrait intime, politique et fragmentaire de notre propre présent…
Mais alors, que reste-t-il quand tout est passé ? L’amour, dit Maxwell (à l’unisson de Dante…). L’amour, comme la dernière frontière d’un territoire – géographique, politique, artistique – que l’un des plus brillants dramaturges et metteurs en scène de notre époque n’a de cesse d’explorer depuis plus de vingt ans, à travers des spectacles dont Paradiso repousse encore une fois les limites…

Depuis cette saison, Richard Maxwell est artiste associé au théâtre Garonne qui présentera, du 13 au 16 mars, un autre texte de Richard Maxwell : The End of reality mis en scène par Marie-José Malis. Une première puisque c'est la première fois qu'une de ses pièces est traduite en français et mise en scène par quelqu'un d'autre que lui-même.

Théâtre
17 > 20 Octobre
mer 17 oct / 20:00jeu 18 oct / 20:00ven 19 oct / 20:30sam 20 oct / 20:30
théâtre Garonne

durée 1h
de 10 à 25 €
ParadisoPresse

Richard Maxwell examine le vie après la vie dans Paradiso

Que reste-t-il quand lutter et bâtir et se battre n’a plus lieu d’être ?
Quelle vie prend le relais quand la vie humaine est finie ?

De telles questions émergent dès que notre éthique est remise en cause, de façon individuelle comme de façon collective. Et si, comme nombre de personnes que je connais, vous vous posez ces mêmes questions, vous pourriez rechercher la compagnie de Richard Maxwell. Ou tout de moins de ses avatars, qui ont colonisé le rez-de-chaussée de la galerie Greene Naftali à Chelsea, où le paradoxal Paradiso, sombre et optimiste à la fois, est joué jusqu’au 10 février (entrée libre sur réservation). Se trouve là-bas un assortiment d’êtres, d’humains et tout autre, qui examinent notre fin à tous dans des termes profondément émouvants.

« À propos, bienvenue dans la pièce », dit l’un d’entre eux en ouverture de cette production. Ce qu’il y a de plaisant avec un spectacle, c’est qu’il « crée partout un lieu pour nous réunir » et « formuler des idées qui autrement ne feraient que flotter dans l’air ». Cette notion que les idées ont besoin d’un ancrage revêt une certaine urgence ici. Le protagoniste central est entièrement fait d’éléments mécaniques et ressemble à une mince bibliothèque métallique à demi-assemblée sur roulettes avec une lumière rouge clignotante faisant office d’œil.

Le vrai Mr Maxwell, un des artistes de théâtre les plus talentueux de sa génération, est toujours bel et bien là à l’âge de 50 ans. Pourtant, ce robot « fait-main » (« DIY –robot ») qui signe ses monologues par les initiales « R.M » nous apparait comme le porte-voix d’un mort, parlant depuis un magnifique mais aride paysage dépourvu de vie animée. Pour toutes les personnes présentes sur les bancs semi-circulaires de ce grand espace blanc, nous sommes vraisemblablement témoin de l’extinction de l’espèce Homo Sapiens – sous-espèce américaine, qui, par réflexe, a détruit toutes ses chances de survie.

Tout au long de ses 20 années passées à créer un théâtre singulier, Mr Maxwell s’est attaché à pratiquer un art de la purification. Il a brûlé les excès qui caractérisaient la tradition théâtrale, autant dans le jeu que dans la scénographie, faisant souvent appel à des acteurs non-professionnels placés dans des environnements vides et parlant du quotidien d’une voix neutre. Ses personnages sont d’ordinaire amenés à ressentir toute la sensibilité qui peut se dégager de ce peu d’affectivité.

Nombre de pièces de Maxwell sont des observations froides, faîtes avec le calme olympien d’un auteur au regard divin. Ces dernières années, cependant, il a introduit dans son écriture des éléments directement autobiographiques. Son splendide The Evening (2015) incluait un récit à la première personne de son père décédé (lu par une actrice) avant de continuer sur une pièce classiquement énigmatique à la Richard Maxwell.

La mort de sa mère figure dans Paradiso, dans le premier des trois soliloques qui font suite au prologue du robot. L’actrice est Elaine Davis, une femme d’âge moyen à l’éloquence soignée teintée d’un certain détachement. Elle commence par une abstraction philosophique qui se fond dans un récit très particulier sur les derniers jours d’une femme, vu par son fils. Son intensité s’accroit quand elle évolue vers la prise en compte qu’un environnement familier change du tout au tout à partir du moment où la personne centrale qui l’habitait n’est plus. Et de ce fait, il semble normal de progresser vers une vision supérieure de la vie sans la vie.

Ce changement d’échelle – entre le passé, le présent et le futur, aussi entre le personnage et un pan historique – constitue un point essentiel dans Paradiso. Un autre soliloque, prononcé par Jessica Galluci, transforme la vision depuis la fenêtre d’un train en un éloquent résumé de 600 ans d’histoire américaine. Mlle Galluci retrace l’évolution de gens qui traversèrent l’eau puis les déserts, et « repoussèrent la nature », des gens qui « étaient tolérants jusqu’à ce que nous ressentions que nous pouvions faire ce que nous avions à faire ». Un autre monologue, prononcé par Charles Reina, est directement adressé à dieu, décrit avec des termes de plus en plus anthropomorphiques. Voila là toute la portée et les limites de notre imagination.

Bien que Mr Maxwell soit apprécié par les spectateurs de l’avant-garde européenne, son travail a toujours été typiquement américain, et d’autant plus dans Paradiso. Son groupe d’humains arrive dans la galerie dans un pick-up blanc luisant, tel un casting pour une publicité télévisée qui associerait la conduite dans des grands espaces avec l’idée spirituelle d’indépendance. La pièce est ponctuée par des interludes sans parole durant lesquels les acteurs s’adonnent à des mouvements ritualisés qui laissent suggérer une famille nucléaire qui travaillent ensemble et se déchire, se console et se confronte. L’ambivalence de l’appartenance à un clan – et, par extension, à un genre d’êtres – est omniprésente.

C’est également vrai dès la première description de la relation de Maxwell avec sa mère, et dans les scènes qui semblent dresser le portrait d’une mère et d’un père s’entretenant sur leur fille gravement malade. Les personnages ne sont jamais dépeints de manière entièrement noble ici, la pureté des intentions et des actions n’existe pas.
Ce qui ne signifie cependant pas que l’amour, un mot qui est fréquemment mentionné dans Paradiso, soit juste une fiction. Mr Maxwell semble aussi constant sur l’idée de l’amour que sur celle de notre extinction. Et bien que se soit un être mécanique qui reste pour raconter ces histoires, Paradiso est imprégné de ce que nous pourrions décrire comme une impitoyable sentimentalité. Peut être rien d’humain ne reste quand les hommes eux-mêmes sont partis. Pourtant, vous êtes susceptibles de quitter ce spectacle à la poétique austère avec une inexplicable lueur d’espoir.

Ben Brantley, The New York Times, 16 janvier 2018

 

Maxwell est de retour, avec Paradiso, un travail qui explore son engagement et son intérêt pour le mythe et le banal, deux thèmes qui ont constitué le cadre général des récents travaux de Maxwell. Il y avait Isolde, avec Tory Vazquez (l'épouse de Maxwell), comme une actrice qui ne pouvait plus se souvenir de ses répliques, et le phénoménal Good Samaritans, interprété par une artiste du nom de Rosemary Allen, qui a fourni un travail inoubliable. Comme tout réalisateur intelligent qui met ses acteurs avant son égoïsme, Maxwell sait qu'un public veut voir des visages - les mythes et les vérités qui ont fait d'eux des stars intéressantes. Dans son livre de 2015, «Theater for Beginners», Maxwell donne des conseils sur la façon de faire du théâtre. Une partie du charme du livre est ce que Maxwell laisse de côté: une explication de sa vision. Mais qui a déjà été capable de décrire le talent? 

The New Yorker

 

Des pèlerins post-moderne dans Paradiso de Richard Maxwell

La nouvelle production de Richard Maxwell - une heure d’un rêve fiévreux – n’est pas jouée dans un théâtre mais a lieu à la Galerie Greene Naftali, un espace spacieux avec des sols en béton poli, d'immenses colonnes et un mur de verre. L'endroit d’un blanc mat immaculé dans la tradition des white cube contemporains, élimine les ombres et trouble la perception. Les corps en jeu sont étranges ici; tout est très proche mais semble très loin. Pourtant, l'espace fonctionne magnifiquement pour une production du New York City Players, et Maxwell et ses concepteurs (dans ce cas, Sascha van Riel) sont devenus spécialistes de ces environnements étranges. L'esthétique de Maxwell réduit autant que possible tous les « éléments » théâtraux et permet très peu de faux-semblants, un effet souvent obtenu par le recours à des acteurs non professionnels (« non-actors »). Les gens semblent à la dérive, isolés, distants, dans les limbes. Ce n’est cependant pas le purgatoire, dans Paradiso nous sommes parvenus jusqu'au paradis.

Voici la succession des faits. Deux hommes basculent d’un trou percé dans un mur de verre. Un pick-up blanc fait son entrée depuis la ruelle avec sa radio en marche. (On peut voir qu'il y a quatre personnes dans la cabine, mais personne n'en sort.) Un robot – construction très basique faite d'un haut-parleur et d’une caméra sur roues – sort de la voiture, il avance pour présenter la pièce. Puis: une femme (Elaine Davis) livre un monologue; un tendre moment post-apocalyptique se déroule entre deux personnes qui boivent du thé; une comédie noire dans un hôpital montre une fille mourante (Carina Goebelbecker) exaspérée par sa mère (Davis encore); le père de la fille (Charles Reina) supplie le ciel pour qu’elle vive, tout en donnant l’impression de sombrer vers une autre personnalité; et le robot réapparaît avec deux amis en randonnée. Son traducteur vocal dit quelque chose comme "Goooo duh Byeee", et les autres rient. Ils ne reviennent pas. Tout le monde charge le véhicule qui s'en va.

Tissés au travers de ces scènes déconnectées, se trouvent des numéros de danse simples et silencieux (les gens miment des tâches ou pointent des choses du doigt) et un long monologue un peu idiot d'une femme (Jessica Gallucci) décrit la fin de la civilisation. Elle parle de ceux qui étaient destinés à éviter l'apocalypse; elle dit que l'artiste, le philanthrope et le militant ont tous été distraits. "Nous avons manqué de paradis pour la cupidité et la luxure", dit-elle. "Et la seule voie légitime pour ces pulsions incontrôlables, en fin de compte, était la guerre". Selon le scénario, le robot aurait déjà dû partager cette information ; il y a un prologue qui nous avertit que nous sommes dans un futur proche, au moment où la plupart des gens sont partis. Le robot est censé dire tout ça, mais le soir où je l'ai vu, la petite machine a manqué ses répliques. Elle s’est avancée, nous a regardé avec son œil de canon, et puis ... s’est mis à faire du bruit. (Nous ne sommes pas encore post-humains, apparemment !). Même avec le pépin, cependant, la non-parole du robot retentit moins que le monologue de Gallucci, qui élimine toute la poésie de Maxwell. Quand Maxwell le veut, il écrit magnifiquement, donc c'est bizarre qu'il ne le fasse pas toujours.

Troisième travail de Maxwell inspiré par la Divine Comédie de Dante, Paradiso est une médiation délibérément sereine sur le monde qui vient après celui-ci. Ce n'est pas directement lié à la Divine Comédie, il n'y a pas de dieu, ni d'anges ici. Le fil conducteur de Dante existe cependant et dérive quelque part dans la trame du texte. L'intérêt de Maxwell pour la Divine Comédie a donné lieu à une série de pièces sur le thème des voyages qui s'évaporent plutôt qu'elles ne finissent vraiment: The Evening (2015) se termine avec une femme en camouflage blanc qui disparait dans le brouillard, et Samara (2017), finit avec un homme marchant aveugle à travers un bois sombre. Ce sont des versions modernes de Dante, une personne se déplace toujours hors de vue dans une sphère parallèle. 

Ces œuvres antérieures, cependant, ont commencé avec des récits presque conventionnels, et ne se sont transformés en rêverie que dans leurs derniers moments. Paradiso elle, est entièrement dans la rêverie. Après une longue carrière d'écriture (et d'invention) de mélodrames décalés, Maxwell s’est tourné vers une dramaturgie postmoderne faite de collages avec des séquences explicitement autobiographiques. Ses textes récents font état de la maladie de son père et d’une promenade avec son enfant, par exemple. Dans Paradiso, il y a une évocation déchirante de la mort de sa mère, parfois difficile à entendre. Au milieu du monologue de Davis, qui semble presque par hasard parler de la famille, on entend soudain sa mère s'adresser à lui. "Rich’, je veux partir." Notre attention est tirée de sa « brume ». Maxwell a enlevé encore plus qu'il ne le fait habituellement, coupant les connexions convenues d’une pièce de théâtre, en faisant disparaître et interrompant les personnages, sautant de scène en scène sans rien laisser prendre racine. Cela rend Paradiso difficile à retenir, et ce pendant la pièce même. La mère de Maxwell est partie. Son effet sur le monde s'estompe. Et ainsi la pièce qu'il a écrite pour elle s'efface et disparaît sous nos yeux.

Magazine BOMB

 

 

ParadisoGénérique

Richard Maxwell est artiste associé au théâtre Garonne - scène européenne, Toulouse pour la saison 2018-2019
Le théâtre Garonne est producteur délégué de la tournée française 2018

texte et mise en scène Richard Maxwell
interprétation Elaine Davis, Jessica Gallucci, Carina Goebelbecker, Charles Reina
production Regina Vorria
scénographie Sascha van Riel
création costumes Kaye Voyce
création technique Zack Davis, Scott Ponik
technicien Andrew Maxwell-Parish
production Greene Naftali et New York City Players
New York City Players est soutenue par la Fondation Howard Gilman et la Fondation Andrew W. Mellon New York Theater Program
Cette présentation est rendue possible par le soutien de Greene Naftali, l’Alliance of Resident Theaters’ New York/Creative Space Grant et des fonds publiques du New York City Department of Cultural Affairs en Partenariat 
avec le City Council et le New York State Council on the Arts, un agence d’état
avec le soutien du Governor Andrew Cuomo et du New York State Legislature. New York City Players est membre de l’A.R.T./ New York. Un précédent atelier de Paradiso a été conjointement commandé et présenté au Museo de Arte Moderno à Buenos Aires (MAMBA) en 2015
avec le soutien de FACE fondation en partenariat avec les services culturels de l'ambassade française aux Etats-Unis.
Ce programme est rendu possible grâce au soutien du Florence Gould Foundation, de l'Institut français, du Ministère de la culture en France et de donateurs privés.

Portrait

Metteur en scène, compositeur, Richard Maxwell (1967) a fondé en 1996 la compagnie New York City Players, qui se produit dans de nombreux pays. A Garonne, il a présenté Good Samaritans en 2006, Neutral Hero et Ads en 2012, Vision Disturbance en 2014 et en 2016 The Evening, qui était la première pièce de sa trilogie inspirée par Dante...