14 > 24 nov 2018

TEL AVIV EXPRESS

Un regard sur la scène indépendante israélienne

dossier de presse

Manifestation organisée dans le cadre de la saison France-Israël 2018

 

Avec Tel Aviv Express, Garonne conserve l’esprit qui avait déjà animé les précédents New York Express, Amsterdam Express, ou plus récemment Italia ! : ouvrir à l'inattendu, en cherchant dans les marges une indépendance autant artistique que politique, en rendant visible des esthétiques encore faiblement repérées, et en donnant à entendre les voix nouvelles d’artistes dont on ne perçoit souvent qu’à peine le murmure hors des frontières.
En compagnie d’Itzik Giuli, dramaturge, metteur en scène et directeur artistique du Israël Festival de Jérusalem, nous avons donc dessiné ce voyage subjectif au coeur d’une scène israélienne bouillonnante, à l’image du pays : un véritable mille-feuilles d’influences hétéroclites, complexes et parfois
contradictoires.

Tarif Spécial Tel Aviv Express
10 euros à partir du 2e spectacle choisi

Dates

Monkeys : Festival TNB, Rennes : 9-10 novembre 2018
théâtre Garonne, Toulouse : 14-17 novembre 2018
Le Bois de l'Aune, Aix-en-Provence : 20 novembre 2018
Le Parvis, scène nationale de Tarbes-Pyrénées : 22-23 novembre 2018
Théâtre La Vignette, Montpellier : 22-23 janvier 2019

Demonstrate Restraint : théâtre Garonne, Toulouse : 14-17 novembre 2018
Festival TNB, Rennes : 22-23 novembre 2018

O.S.L.O : théâtre Garonne, Toulouse : 21-24 novembre 2018

I Look After : théâtre Garonne, Toulouse : 22-24 novembre 2018

 

 

 

 

Monkeys

Amit Drori
Hazira [Israël]

LE SINGE EST UN ÊTRE SPONTANÉ ET IMPULSIF, ET LE ROBOT EST L'ÊTRE OPPOSÉ, CONTROLÉ ET ORGANISÉ. AINSI, LE SINGE ROBOTIQUE EST UN HYBRIDE QUI MÊLE LA PARANOÏA TECHNOLOGIQUE, LA RECONNAISSANCE ET LA TRAHISON DE LA NATURE.

AMIT DRORI

Douze interprètes sur la petite scène encombrée de curieuses machines lumineuses et sonores : trois sont humains, les neuf autres sont des singes robotisés. Des marionnettes d’un nouveau genre, et d’une complexité technique folle, que l’équipe d’Amit Drori a mis 5 ans à concevoir et animer, en apportant un soin méticuleux à les rendre à la fois magnifiques, touchantes, et parfaitement effrayantes. Car, durant une petite heure, Monkeys joue à la frontière : celle du mécanique et de l’organique, de l’humain et de l’animal, du mobile et du statique, du visible et de l’invisible.

Ensemble, ces douze acteurs interprètent des scènes recomposant tout le cercle de la vie : naissance, enfance, adolescence, vie adulte. Et mort. A eux seuls, ils interrogent à travers des réactions d’amour, de haine, de compassion, tout un monde de relations complexes que l’humanité contemporaine entretient avec ses « presque cousins » : la société des singes, la technologie des robots, la tradition des monstres. Et, sous ces atours souvent poignants et toujours poétiques, pose à un large public une question éminemment éthique : quel sens donnons-nous aujourd’hui – et donnerons-nous demain – au mot « humanité » ?

théâtre et marionnettes
14 > 17 Novembre
mer 14 nov / 20:00jeu 15 nov / 14:00jeu 15 nov / 19:00ven 16 nov / 14:00ven 16 nov / 19:00sam 17 nov / 19:00
théâtre Garonne

durée 1h
en hébreu surtitré en français
Coproduction
de 10 à 25 € / spectacles supplémentaires dans le cadre de Tel Aviv Express à 10 € / possibilité de voir deux spectacles dans la même soirée / séance scolaire 15 et 16 novembre à 14h / 10 €
Monkeysmonkeys

On pourrait appeler ça de la « marionnette contemporaine ». Ou bien on pourrait dire que Monkeys est une performance néo-païenne mettant en scène un microcosme mécanico-poétique qui provoque nos instincts animistes et qui éveille un monde dans lequel les objets et les matières sont vivants. Chacun.e a une âme et chacun.e joue un rôle dans cette cosmologie.
Sur scène il y a douze acteurs. Trois êtres humains et neuf robots-singes. Tous évoluent dans un environnement machinique de sons et de lumière. Lorsque l’humain rencontre le non-humain des relations se tissent au travers d’interactions oniriques. On pénètre un univers théâtral qui estompe les frontières entre l’humain et le mécanique, le fixe et l’animé, le visible et l’invisible, ainsi que le vivant et le non-vivant.
Dans Monkeys, il est question de frontières. De la zone de tension entre l’art et la science. De celle entre la culture des hommes et d’autres cultures « quasi-humaines » – la société des singes, la culture robotique et la tradition des monstres.
Acteurs et robots créent un ensemble, produisent des scènes et des images qui ont trait au cycle de la vie, depuis la naissance, l’enfance et l’adolescence jusqu’à l’âge adulte et puis la mort.
Entre eux, les singes entretiennent des relations complexes qui déploient les palettes de la sympathie, de l’échange et de l’intimité, mais qui surgissent aussi à travers la cruauté et l’agressivité. Les singes suscitent de l’empathie et, dans le même temps, nous rappellent aux instincts élémentaires du monde naturel.
Ces robots-singes ont été obsessionnellement élaborés et conçus pendant cinq ans. Ils représentent à la fois l’origine de l’homme (le singe) et son éventuel successeur (le robot). Le singe est impulsif et spontané alors qu’à l’opposé le robot est réglé, dirigé et déterminé. Le singe-robot est donc un être hybride qui combine identification, peur du tout-technologique et trahison du monde naturel afin de déplacer et de renouveler le point de vue sur notre humanité.

Amit Drori

Metteur en scène, directeur de théâtre et concepteur d’objets en mouvement, l’israélien Amit Drori enseigne la marionnette contemporaine et le théâtre d’image à l’École de Théâtre Visuel de Jérusalem, dont il est lui-même sorti diplômé en 2002. Il est également lauréat du Prix Rozenblum pour l’Excellence dans les Arts de la scène et du Prix de mise en scène et de scénographie du Festival d’Acre.

MonkeysEntretien

« Je fabrique des robots parce que c’est ma manière de concevoir des objets en vie et en mouvements. De plus, mes robots sont les acteurs d’un théâtre photographiques et d’un théâtre d’images. J'essaie d’imprégner ces images de pensées, d'expressions et d'émotions intenses, et je souhaite inviter mon public à être très actif. Regarder et construire son propre voyage dans cet univers scénique. Avec les singes, j'essaie de jouer avec les frontières entre humains et non humains: le singe, le robot. Les deux sont si proches de nous les humains, et pourtant nous sommes différents.
Que ressentons-nous ? Mes singes sont tristes. Ils sont prisonniers du fait de ne pas sentir d'être conscients et en vie. Je crois que ce sentiment est très universel. Nous, les humains, trouvons toutes les réponses possibles pour éviter de s’y confronter. Nous vivons, nous dansons, nous nous battons, nous cherchons un sens. Mais dans cet espace, les singes passent constamment de la vie à la mort. Ils se réveillent encore et encore, ils s'éteignent encore et encore. Comme ce réflexe instinctif et physique de fermer les paupières. J’ai passé cinq ans à fabriquer ces singes. Cela en fait un projet très particulier pour moi. Travailler dessus est devenu à la fois un mode de vie et une pratique spirituelle. J'ai détaillé les singes d'une manière très obsessionnelle, essayant d’imprimer mes sentiments dans l'anatomie de leur corps. En élaborant cette performance, nous avons essayé de créer une pièce qui se situe à la frontière du théâtre et de l'installation: un hybride d'un médium performatif et d'un médium pictural. C'est, encore une fois, une transition délicate entre la vie et la mort. »

propos recueillis par Pauline Lattaque, octobre 2018

MonkeysGénérique

mise en scène, scénographie, construction des singes et interprétation Amit Drori
co-création, construction des singes, lumières et interprétation Ofer Laufer
développement artistique, construction des singes et interprétation Sylwia Trzesniowska-Drori
production Hazira – Performing Arts Arena, Jerusalem, Israël
coproduction TJP-Centre Dramatique National d’Alsace, Strasbourg, France théâtre Garonne - scène européenne, Toulouse, Théâtre National de Bretagne France, Ljubljana Puppet Theatre, Slovenia
producteur délégué de la tournée théâtre Garonne - scène européenne
en collaboration avec la Maison de la Marionnette, Tournai, Israel Festival, Jerusalem Fest Factory, Bat Yam

Demonstrate Restraint

Yasmeen Godder [Israël]

Yasmeen Godder se remet totalement en jeu en revenant à la performance. Dans cette nouvelle création, son corps devient le centre névralgique de ses recherches engageant des questions personnelles et collectives indissolublement nouées : l’identité politique, la nécessité de la révolte... Jouant de ces motifs à travers les mots et les images, elle leur permet d’infiltrer son corps, sa voix et son espace, de les briser, de les troubler et de les rafraîchir. Elle s’entoure d’artistes issus de la scène underground, comme la compositrice et performeuse Tomer Damsky avec laquelle elle collabore depuis plusieurs années. Ensemble, elles détournent et réorganisent les éléments esthétiques associés aux manifestations et au nationalisme par l’utilisation de la voix et d’enregistrements. Une tension relayée par la création de Zohar Gottesman, artiste visuel et sculpteur, qui conçoit un matériau transparent, morcelé, dont les débris forment des images mouvantes. L’ensemble s’appuie sur le prodigieux travail de création lumière imaginé par Omer Sheizaf, qui collabore notamment avec la Batsheva et Roy Assaf.

Danse
15 > 17 Novembre
jeu 15 nov / 21:00ven 16 nov / 21:00sam 17 nov / 21:00
théâtre Garonne

durée 1h
Création Garonne / Coproduction / première en France
de 10 à 25 € / spectacles supplémentaires dans le cadre de Tel Aviv express 10 € / possibilité de voir deux spectacles dans la même soirée
Portrait

Née à Jérusalem en 1973, Yasmeen Godder s’est formée à la Tisch School of the Arts de New York. Depuis la création de sa compagnie en 1999 en Israël, elle développe un travail personnel très engagé. Par leur intensité et leur impact, ses œuvres, non dénuées d’humour, obtiennent une large reconnaissance internationale. Au théâtre Garonne, elle a interprété le duo Two Playful Pink (2004) et présenté Climax (2015).

Tomer Damsky est une musicienne et chanteuse basée à Jérusalem, allant du répertoire contemporain aux installations multimédias et aux performances dérivées du bruit et de la musique de drones. Dans ses œuvres, Damsky explore l’art vocal, l’improvisation, le mouvement, l’art visuel et la sculpture amplifiée, en cherchant des bizarreries vivantes et inattendues. Cette création est la quatrième collaboration avec Yasmeen Godder.

Demonstrate RestraintEntretien

Q : Pourquoi ce titre « Demonstrate Restraint » ?

Yasmeen Godder : Pour moi, le titre porte une contradiction inhérente au projet lui-même. « Manifester » signifie s’exprimer et protester, extérioriser et exposer une position claire. Tandis que « retenue » fait appel à la mesure et à la censure. Ensemble, ces deux mots exposent un état de tension dans lequel deux forces agissent en même temps.  Comment le désir de protester, de s’engager puissamment peut se confronter à la rétention, au blocage et au doute. En hébreu aussi, dire « manifester de la retenue » renvoie à la capacité de contrôler ses instincts ou ses impulsions. Cet état de pensée est au coeur du travail, peut-être pas exposé au premier plan, mais en écho.

Q : Pourquoi revenir à la performance, te mettre en jeu physiquement ?

Y. G : J’ai arrêté pendant quelques années d’être interprète. J’ai été très engagée dans des recherches sur l’interaction et l’empathie, focalisée sur les expériences physiques et émotionnelles des spectateurs. Avec Demonstrate Restraint, j’avais le désir de revenir au plateau avec une nouvelle perspective personnelle qui correspond à ce que je suis aujourd’hui, physiquement et psychiquement.
De plus j’ai cherché à collaborer plus étroitement avec Tomer Damski avec qui j’ai travaillé ces quatre dernières années sur différents projets. Le travail avec Tomer et son équipe – une chanteuse, un musicien et un compositeur – ont changé mon approche du corps, en accordant à la voix un rôle important de générateur d’information et d’états, et en étendant cela au contenu du travail.

Q : Tes chorégraphies expriment un puissant engagement physique et émotionnel, comment s’élabore cette écriture ? Son processus ?

Y. G : Chaque projet suit un processus de recherche différent. Je cherche à réinventer à chaque fois ma façon de travailler. Quand je mets mon propre corps en jeu, il y a une relation plus directe avec les matériaux physiques et émotionnels élaborés lors d’années de performance, de travail sur le mouvement qui m’appartiennent en propre. En ce qui concerne Demonstrate Restraint, j’étais moins intéressée par la création d’un vocabulaire physique particulier que par le développement visuel et sonore de scènes qui pourraient se connecter aux thèmes et les laisser innerver la danse. La recherche a évolué depuis cette rencontre singulière entre Tomer et moi pour devenir un lieu de rencontre entre nos différentes disciplines et pratiques, et peut-être générer des frictions, afin de produire un langage nouveau.

Q : Cette pièce est-elle explicitement politique ?

Y. G : Ce travail est né d’un désir d’être explicite, et de l’incapacité de l’être. Il ne prétend pas savoir ce qui est juste et faire une déclaration politique particulière. Cependant il émerge effectivement des situations politiques actuelles, comment elles entrent dans le psychisme et la perception de ce qu’est un artiste vivant aujourd’hui en Israël. Le travail lui-même répond à la nécessité de créer un travail politique et de trouver sa propre voie.

Q : En quoi penses-tu que la danse est à même de rendre compte et répondre de la situation du monde ?

Y. G : Je ne cesse pas de chercher comment la danse peut accomplir cela. Dans mes différentes pièces, j’utilise diverses stratégies pour atteindre le public, que ce soit à travers un contact direct, ou via l’effet induit par les images, le son, ou tout à la fois. Je crois vraiment que la danse peut embrasser des problématiques actuelles, en donnant la possibilité aux artistes et aux spectateurs de nouer un dialogue, de les relier en les plaçant dans un état mental différent, selon d’autres perspectives. En tant qu’artistes, on peut toujours ouvrir des voies nouvelles pour l’esprit, pour reconsidérer des idées et des opinions habituellement envisagées d’une certaine façon. Par ailleurs le simple fait de se rendre dans une salle de théâtre, de prendre le temps de sortir, de s’immerger dans un spectacle, est une invitation à entretenir un dialogue différent sur des problématiques actuelles.

propos recueillis par Bénédicte Namont, octobre 2018

Demonstrate RestraintGénérique

création, choréographie et performance Yasmeen Godder
co-création, musique et performance Tomer Damsky
dramaturgie Itzik Giuli
dircteur de répétitions Ari Teperberg, Ofir Yudilevitch
scénographie et sculpture Zohar Gottesman
développement scénique Gili Godiano
lumière Omer Sheizaf
costumes Hila Shapira
production Omer Alsheich
administration Mirit Ben Weiss
photographie Tamar Lamm
tournée internationale as is presenting arts - Gal Canetti and Dalit Itai
"Right To Exist" and Additional Sound Production WACKELKONTAKT (Marco Milevski Tomasin, Eyal Lally Bitton & Tomer Damsky)
coproductions théâtre Garonne - scène européenne, Toulouse, Théâtre National de Bretagne Mekudeshet 2018, The Jerusalem Season of Culture
producteur délégué de la tournée théâtre Garonne - scène européenne, Toulouse

O.S.L.O.

Guy Gutman
Tami Leibovits
Hazira [Israël]

La société ne peut pas progresser si elle n’identifie pas l’autre en son sein et si elle est sujette à une paranoïa constante... Dès lors que vous rejetez le récit de quelqu’un d’autre, vous courez le risque qu’un jour votre propre récit soit l’objet du même rejet.

Guy Gutman

Morceaux de danse jetés dans la tempête, O.S.L.O. est une sorte de carte temporelle chorégraphiée des accords de paix israëlo-palestiniens tels qu’ils ont été définis à Oslo. Le vocabulaire dansé, intense, se compose de mouvements parallèles, de répétitions, de citations et d’évènements chorégraphiques tour à tour épiques et minuscules. Monté dans un espace météorologique à la fois concret et qui confine en même temps à l’abstraction, O.S.L.O. se forge dans le souffle venteux de la représentation live, dans l’acte de son déploiement. Danse épique de la désillusion, O.S.L.O aspire à développer un folklore contemporain qui commémorerait le temps qui passe, la conscience historique et la possibilité du changement.

Danse
21 > 24 Novembre
mer 21 nov / 20:00jeu 22 nov / 21:00ven 23 nov / 21:00sam 24 nov / 21:00
théâtre Garonne

durée 1h
Coproduction / première en France
de 10 à 25 € / spectacles supplémentaires dans le cadre de Tel Aviv express 10 € / possibilité de voir deux spectacles dans la même soirée
Portrait

Actuellement directeur artistique du collectif Shelter 209, Guy Gutman a étudié au Beaux-Arts de Besançon, il vit et travaille à Tel Aviv. Artiste pluridisciplinaire, il crée des spectacles, performances et expérimentations où la dimension politique est toujours présente. Il a enseigné au Central Saint Martins College de Londres et au Shenkar College de Tel Aviv, avant de diriger l’École de théâtre visuel de Jérusalem.

O.S.L.O.Entretien

Q : Qui êtes-vous, Guy Gutman ?        

Guy Gutman : Je suis un directeur et un metteur en scène. Mon travail est axé sur la performance dans toutes ses formes et toutes ses possibilités. Ce qui implique un dialogue constant entre la passion et la politique, les conventions et l’activisme.   
Je suis né à Haifa, une ville située au nord d’Israël. Mon travail est enraciné dans le paysage politique israélien, au coeur de l’urgence de l’actualité et des conflits, et se trouve en solidarité avec la communauté artistique et militante locale. En même temps, j’entrevois une importance entre les formes et les concepts artistiques purs, ce qui permet à l’art d’esquisser les contours d’une méditation, abstraite et dissidente où tout peut être réinventé.
 
Q : Quel a été le point de départ d’O.S.L.O. ?

G. G : O.S.L.O. a plusieurs points de départ.
Depuis quelques années, et plus précisément depuis la mort de mon père, j’ai travaillé sur le concept de chronologie. C’est venu d’une préoccupation croissante que je ressentais à propos de l’Histoire, à savoir comment celle-ci peut s’effacer, peut-être négligée et devenir de plus en plus floue et ainsi devenir une arme de l’extrême droite.
Au cœur du conflit israélo-palestinien, j’ai senti que les accords d’Oslo étaient un point de non-retour, au centre du récit d’Israël. C’est presque un mot aussi magique qu’envoûtant à prononcer : O.S.L.O. En Israël, dire Oslo se suffit. C’est un ADN propre à la gauche, pour la désillusion, pour l'échec total, pour la cupidité et la trahison. C’est aussi un vrai événement historique, un document juridique et bien sûr, une capitale bien réelle en Norvège.  Il est si intéressant de constater que cet endroit glacé et enneigé a été l’hôte de la négociation d’un des conflits les plus insolubles au Moyen-Orient.
Cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai commencé O.S.L.O en faisant une émission pour enfants. Je voulais que la première étape, ma première action soit abstraite, non littéraire, profondément atmosphérique. La scénographie, le paysage, les conditions ont été créées dans cette perspective en collaboration avec l'artiste plasticienne Gabi Kricehli.
La danse est l’autre point de départ important. Je sentais que la danse pourrait ouvrir un spectre (et un grand obstacle) pour traiter cette affaire géopolitique très spécifique. Et, en même temps, que nous pourrions peut-être permettre un retour essentiel à la danse, redécouvrir son lien au temps. N'ayant pas moi-même de formation chorégraphique, c'était aussi une façon de travailler avec un gros handicap, en s'appuyant sur une confiance totale les uns envers les autres et pas à pas, renforcer notre dialogue. Ici, j'ai travaillé en étroite collaboration avec la chorégraphe et partenaire Tami Leibovits, avec la générosité et le talent immense des danseurs.

Q :  Comment avez-vous travaillé avec les interprètes ?

G. G : Nous travaillons de manière extrêmement intime et collaborative. Pendant des mois, nous étions plus un groupe de musiciens que d’interprètes. Il était très important pour moi de retrouver le sentiment de joie que la danse procure, sans jugement, mais de beauté, d’urgence, et d’engagement. Quelque part, c'est envisager la danse de manière naïve mais nous avons délibérément voulu être des outsiders du politique et du discours qui caractérise la danse contemporaine.
 
Q : Nous avons l’impression que le temps est suspendu durant la représentation : lenteur des mouvements et étirement des cris… Comment danser un récit historique et politique ?

G. G : Bien sûr, toute la performance est une manifestation de ces questions mêmes. C'est un mouvement qui façonne une problématique. Une question primordiale et un problème impossible que nous avons rencontré dès le début : qu'est-ce que l'Histoire? Quelle perspective ? Quelle voix ? Quel genre ? Ce qui conduit à un problème encore plus grand et très théâtral - qui représentons-nous ? Ce sont ces types d'impasses castratrices et terribles du XXe siècle. Cependant, ils touchent le désir même de la performance : Pouvons-nous laisser, ici, maintenant, un espace pour l’histoire qui ne résoudra pas tous ces débats, mais permettra un environnement riche, méditatif et responsabilisant ? Un espace qui nous ramène à l'action.

Q :  Pouvez-vous nous parler de votre expérience à l’École de théâtre visuel de Jérusalem, à la fois en tant qu’élève qu’en tant que directeur ?

G. G : En fait, j'ai fait mes études d'art en France. Ayant grandi à Haïfa dans les années 80, je ne connaissais aucun artiste et je ne connaissais rien de la scène artistique. Dans mon imaginaire, tous les artistes étudiaient en France.  A cette époque, je ne savais même pas que l’École de Théâtre Visuel existait. L'Ecole de Théâtre Visuel de Jérusalem est vraiment un endroit miraculeux. Une école d'art qui croit vraiment en l'art, qui fait confiance aux artistes, jeunes et vieux et qui souhaite toujours s'engager dans de nouvelles formes d'expérimentation. Diriger une telle école a été une véritable leçon pour donner vie à de nombreux désirs, repenser l'individualité et la mutualité. C'était aussi ce que je ressentais, un lieu de résistance à une époque très particulière de la réalité culturelle israélienne. Plus que tout, c'est devenu un lieu de solidarité et d'amitié. A partir de laquelle nous pouvons agir !

Propos recueillis par Pauline Lattaque, octobre 2018

O.S.L.O.Générique

crée par Tami Leibovits (chorégraphe associée), Or Ashkenazi, Tamar Kisch, Tal Adler, Keren Ben Altabet,
Asaf Ahronson, Uri Shafir, Ofir Yudilevitch, Chaya Barshinsky, Guy Gutman
conception et mise en scène Guy Gutman
décor et scénographie Gabi Kricheli
interprètes Tal Adler, Or Ashkenazi, Tami Leibovits, Tamar Kisch
costumes Tami Leibovits
sons et musiques YouTube
production Hazira – Performing Arts Arena, Jerusalem, Israël
soutenu par the National Lottery

I look after

Nava Frenkel
Hazira [Israël]

Dans ma conception du « temps », je lutte systématiquement contre son caractère fixe : persistance infinie, permanence et incapacité de revenir en arrière (un interprète qui « meurt » n'est ressuscité que pour mourir encore et encore).

Nava Frenkel

La nostalgie d'un temps et d'un espace perdus est devenue un phénomène mondial. L'idéalisation qu’elle suscite est souvent régressive, et parfois constitutive de discours nationalistes dangereux. Pourtant, la nostalgie peut aussi être prospective, créative et critique. Peut-on repenser la nostalgie ? Y découvrir un élément dynamique ? Comment être en relation avec le passé à une époque où ce qui est valable aujourd'hui sera disqualifié demain ? Interprétée par Nava Frenkel elle-même, la performance I Look After oscille entre différents modes d’existence – de ce qui est ici à ce qui a cessé d’y être, de ce qui a été à ce qui est maintenant. Tour à tour humain, animal, plante, Nava Frenkel fait littéralement re-vivre fragments du passé et souvenirs retrouvés, comme elle assemblerait les pièces d’un puzzle à la fois intime et politique, pour y trouver de nouvelles figures : plutôt que la fin du désir, la nostalgie comme un moyen de revitaliser un imaginaire tout entier tourné vers l’avenir.

Théâtre
22 > 24 Novembre
jeu 22 nov / 19:00ven 23 nov / 19:00sam 24 nov / 19:00
théâtre Garonne

durée 1h
première en France
de 10 à 25 € / spectacles supplémentaires dans le cadre de Tel Aviv express 10 € / possibilité de voir deux spectacles dans la même soirée
I look after Générique

conception et interprétation Nava Frenkel
costumes Osnat Kelner
création lumière Ofer Laufer
production Hazira – Performing Arts Arena, Jerusalem, Israël

I look after Entretien

Je suis à née à Jérusalem, et j'ai grandi dans une fratrie de cinq frères et sœurs issus d'une éducation religieuse orthodoxe. Aujourd'hui, je vis à Jaffa dans une communauté judéo-arabe et, en tant que mère indépendante/autonome/célibataire, j’élève et j’éduque mon enfant dans un environnement diversifié. De cet environnement multiculturel et multi-économique, je puise idées, besoins et inspiration.  J'enseigne la "mise en scène contemporaine" et dirige la quatrième et dernière année ("l'année finale") à l’École de Théâtre Visuel de Jérusalem. J'enseigne aussi les «études de performance» à l'Académie de musique et de danse.

Je suis une performeuse et dramaturge. J’ai été une figure majeure de la scène israélienne de la performance expérimentale et l’une des plus prolifiques, réalisant un travail poétique combinant des jeux de mots compliqués, des structures chorégraphiques ludiques et des esthétiques oscillant élégamment entre le sacré et le prosaïque. Le domaine de la performance a une définition en constant mouvement. Il échappe à la rigidité conceptuelle. Au cours des dernières décennies, c’est un domaine qui s’est propagé dans tous les arts et qui en a changé certains aspects. J'utilise la performance dans le sens théâtral. Mes pratiques de la performance sont liées à ma compréhension de la vitalité et de la temporalité du plateau, mettant en lumière la relation entre scène et vie et entre art et vie. Cette place singulière que j’occupe rend de nouvelles postures performatives possibles, et beaucoup plus ouvertes : le regard du spectateur est un élément constitutif de chaque image du travail que je mène ; l'atmosphère remplace la neutralité ; les intrigues secondaires deviennent importantes ; une invitation ludique supplante la rigueur. Dans mon travail, je suis comme un chercheur du comportement humain. J'identifie les différents types de comportements et de relations et je les travaille/ module comme des abstractions géométriques.

Ce faisant, je m'efforce de produire un mode de créativité hors du sentiment, mais plutôt porteur de valeur personnelle et politique. Au cours du siècle dernier, les processus de modernisation se sont fortement accélérés et, avec la mondialisation, ont entraîné de grands changements dans le monde entier. La nostalgie, la nostalgie d’un temps et d’un espace perdus, est devenue un phénomène mondial.

Puis-je repenser la nostalgie? Puis-je découvrir un élément dynamique dans ce sentiment? Comment pouvons-nous être en lien au passé à une époque où ce qui est valable aujourd'hui n'est plus possible dans un avenir proche? Demain est tellement incohérent par rapport à aujourd’hui qu’il échappe déjà à la force vitale de notre imagination. Dans mon travail, la nostalgie est une oscillation entre ce qui a été, ce qui est et ce qui pourrait être. Le passé ouvre une multitude de potentialités, de possibilités ou de développements. La nostalgie peut être considérée comme un moyen de provoquer un objectif tourné vers l'avenir, plutôt qu’un arrêt de tout désir.

Propos recueillis par Pauline Lattaque, octobre 2018

Portrait

Née en 1979, la performeuse et dramaturge Nava Frenkel est l'une des figures les plus prolifiques et les plus importantes de la scène expérimentale israélienne. Son travail poétique s’appuie le plus souvent sur des jeux de langage sophistiqués et structures chorégraphiques ludiques, combinant volontiers le sublime et le prosaïque.