6 > 17 février 18

Trilogie Daney / Celan / Bernhard

Un projet de et avec Nicolas Bouchaud Mise en scène Eric Didry

Trilogie Daney / Celan / Bernhard

Projets de et avec Nicolas Bouchaud
Mises en scène Eric Didry

De la contre-parole de Paul Celan à la critique joyeuse et libératrice de Thomas Bernhard, en passant par le spectacteur considéré comme un vigilant veilleur dans la foule chez Daney... D'un spectacle à l'autre, les textes choisis par Didry et son comparse Bouchaud interrogent, chacun à sa façon, une éthique du regard, de l'écriture et du jeu, et permettent de sentir la force de transmission qui se dégage d'une parole, dans un entretien infini avec ceux qui l'écoutent.

Théâtre
6 > 7 Février
La Loi du marcheur
Serge Daney
Nicolas Bouchaud
Eric Didry
Théâtre
8 > 10 Février
Le Méridien
Paul Celan
Nicolas Bouchaud
Eric Didry
Théâtre
15 > 17 Février
Maîtres Anciens
Thomas Bernhard
Nicolas Bouchaud
Eric Didry

La Loi du marcheur

Serge Daney
Nicolas Bouchaud
Eric Didry

"PASSEUR, JE SUIS RESTÉ AU MILIEU DU GUÉ, EN ATTENDANT QUE D’UNE RIVE OU DE L’AUTRE QUELQU’UN M’APPELLE OU ME TENDE LA MAIN, ET COMME ÇA N’ARRIVAIT JAMAIS, JE ME SUIS MIS À DONNER DE LA VOIX ET À FAIRE PASSER DE PETITS MESSAGES ORAUX OU ÉCRITS, POUR DONNER DES NOUVELLES D’UNE RIVE À L’AUTRE SANS APPARTENIR MOI-MÊME À L’UNE DE CES RIVES".
SERGE DANEY, PERSÉVÉRANCE

Sur le plateau, un écran blanc et la présence de Rio Bravo d’Howard Hawks pour retrouver le film comme la « promesse d’un monde ». Puis un acteur se glisse dans la peau d’un critique de cinéma pour jouer et établir un dialogue avec lui. Reprenant l’entretien filmé de Serge Daney, Itinéraire d’un ciné-fils, Nicolas Bouchaud recompose le lien secret, né de l’enfance aux côtés d’une grand-mère, qui les unit au cinéma. À travers la parole du personnage-Daney, il joue à être un spectateur, un « veilleur au milieu de la foule ».

Théâtre
6 > 7 Février
mar 6 fév / 20:00mer 7 fév / 20:00
théâtre Garonne

durée 1h50
de 10 à 25 € / 10 € le spectacle supplémentaire
La Loi du marcheurintentions

Penser est un des plus grands divertissements de l’espèce humaine 
Bertolt Brecht, Galilée


Matériau

Serge Daney, itinéraire d’un ciné-fils est un film réalisé en 1992 par Pierre-André Boutang et Domique Rabourdin dans le cadre de l’émission Océaniques. Dans ce film, Daney s’entretient avec Régis Debray (dont la présence discrète reste en hors-champ) et revient sur ce qu’aura été sa vie à travers les voyages, le cinéma, les médias. Cet entretien ne ressemble ni à une hagiographie, ni aux souvenirs d’un cinéphile, ancien critique aux Cahiers du cinéma ou à Libération.

Il est important de replacer le film dans son contexte. À l’époque, malade du sida, Daney connaît l’imminence de sa mort. Le film est tourné rapidement sans avoir été vraiment prémédité. La parole de Daney remise ainsi en situation revêt un caractère d’urgence. Nous sommes face à quelqu’un qui éprouve la nécessité de nous transmettre quelque chose et sans doute d’en enregistrer la trace. Pas un message, ni une confession mais une pensée. Une pensée qui montre en acte le plaisir de penser. Une pensée qui nous fait sentir que, selon la phrase du Galilée de Brecht : « Penser est un des plus grands divertissements de l’espèce humaine ».

Serge Daney ne parle pas de sa propre vie pour la raconter mais pour élucider une part de ce qu’il est en train de vivre. Sa parole s’arrime et s’invente ainsi au présent. À Jacques Rivette qui se demandait pourquoi Daney n’était jamais passé derrière la caméra, on aimerait répondre qu’ Itinéraire… est comme son propre film : un homme cadré en plan fixe improvise un texte pour la caméra. Une voix qui serait comme l’autre versant de ce qu’il écrivait dans les revues et les journaux.

Le film ressemble pourtant à un matériau hybride. Il tient à la fois du journal, de l’autoportrait, du roman, de la chronique ou du pamphlet… C’est que Daney porte en lui toutes ces formes d’expressions. Et c’est sans doute pour cela que nous vient l’envie d’en arracher une page, d’en retenir une phrase, d’en réécouter une autre, sans doute pour cela que nous vient l’envie de poursuivre le dialogue avec lui, de prolonger l’expérience.

Peut-être aussi parce qu’à son contact on se sent fortement exister. Il y a quelque chose de théâtral dans la parole de Daney car elle convoque autant qu’elle dépend de l’attention de son interlocuteur. Elle s’énonce toujours dans un rapport à l’autre, en elle s’inscrit le désir de l’autre, la place de son écoute. Témoignant publiquement de ce que « voir des films » lui a offert du monde, Daney choisit, rigoureusement, généreusement, de partager ce butin. Sa parole vit, s’anime et nous aimante parce qu’il est lui-même un homme de (la) parole, de l’oralité. Un conteur, un griot comme il aimait à se définir. Daney possède l’art de raconter, un art de se raconter de façon ludique et aérienne, fait de « sauts », « d’envolées » où la parole se perd, se retrouve, invente une route encore non tracée. La parole de Daney recèle en elle-même toute une dramaturgie, tout un paysage, toute une géographie. Elle est à elle seule une Odyssée (dans le style d’Homère). La promesse d’une traversée aventureuse, d’un voyage secret. Elle est un archipel composé d’îles qui auraient pour noms, (imaginons) : Rio Bravo… Tegucigalpa… le Cyrano-Roquette… Nuit et brouillard… Moonfleet… Les Cahiers jaunes… Jean-Luc Godard … Le panoramique de Mizogushi… 1981… Les films qui ont regardé notre enfance… James Stewart… Oulan-Bator… Libération… Mai 68 … « le travelling de Kapo… Le Pont du nord … Léo MC Carey… service public… Kinshasa… Buster Keaton…


Expérience(s)

D’où m’est venue cette émotion lorsque j’ai vu et entendu cet entretien pour la première fois en 1992, au moment de sa diffusion ? En écoutant Daney, l’émotion m’attrapait d’abord par l’oreille grâce au flux de la parole, au rythme des phrases et au grain de la voix. Au-delà du contenu et du sens même, je sentais qu’il y avait une urgence pour lui à nous livrer une expérience. Son expérience. D’où vient qu’en l’écoutant aujourd’hui, nous soyons silencieusement amenés à dialoguer avec lui ? D’où vient qu’en l’entendant c’est à une part de notre propre expérience qu’il nous révèle ?

Le cinéma n’est pas une technique d’exposition des images, c’est un art de montrer. Et montrer est un geste qui oblige à voir, à regarder. Sans ce geste, il n’y a que de l’imagerie. Mais si quelque chose a été montré, il faut que quelqu’un accuse réception. Bon, il y a eu d’autres façons de passer sa vie avec le cinéma, mais la mienne c’est celle-là (…) 
Serge Daney, in Persévérance

C’est à notre condition et à notre attention de spectateur que nous renvoie Daney, à la valeur propre de notre écoute et de notre regard. C’est à cela qu’il nous appelle à croire, sans transiger ; à une certaine éthique de notre regard. Spectateur en état de veille. Sans cynisme. Semblable en cela à la figure du Veilleur au début de l’Orestie d’Eschyle guettant le retour toujours différé d’Agamemnon ou encore à celle de Robinson Crusoé guettant l’apparition d’un navire, d’un animal ou d’un cannibale pendant des jours et des nuits… Spectateur permanent d’une promesse.
C’est ainsi que nous pourrions peindre Serge Daney : celui qui passa une belle part de sa vie à guetter, à veiller les films des autres. Et lorsque la vision enfin apparaît, il est celui qui vient après ; n’écrivant ni ne discourant « SUR » les films mais « AVEC », inventant avec eux un entretien infini. La promesse qu’une vision extraordinaire peut encore et toujours advenir.

Entre ce qu’on hallucine, ce qu’on veut voir, ce qu’on voit vraiment et ce que l’on ne voit pas, le « jeu » est infini, et là on touche à la partie la plus intime du cinéma (…) 
Serge Daney, in Conférence du jeu de paume

Daney incarne véritablement « l’homme-spectateur » comme naguère Edgar Allan Poe rencontra « l’homme des foules ». Cette figure du spectateur, du veilleur au milieu de la foule, m’apparaît comme la question centrale et le motif poétique de notre spectacle. Quel spectateur acceptons-nous d’être ? Quel spectateur désirons-nous être ? Quel spectateur sommes-nous ? Qu’acceptons-nous de recevoir de l’autre ? Qu’est-ce qui se fabrique de soi à partir du lieu de l’autre ? C’est à notre propre rapport à l’art que nous renvoie Daney. L’art en tant qu’il est du côté du présent et de la vie, c’est-à-dire du côté de l’expérience. On l’opposerait ainsi à son versant patrimonial et muséal, on l’opposerait surtout au cercle fermé des initiés. Il suffit de se souvenir qu’il prend sa source dans notre enfance et qu’un photogramme aperçu en passant à l’entrée d’un cinéma peut changer sensiblement le cours des choses en nous. Imaginons donc un acteur jouant un spectateur.

Je crois que l’art de l’acteur est intrinsèquement lié à sa vie de spectateur quand il n’est pas sur le plateau. Nous n’inventons rien d’autre que ce que nous avons déjà vu, aimé, oublié, aperçu, désiré… Cela ne fait pas appel à une mémoire consciente, mais on voit quel spectateur a été l’acteur, qu’est-ce qu’il a vu, comment il l’a vu, qu’est-ce que ça lui a fait.

Serge Daney est comme un grand frère, une voix proche, un ami jamais rencontré. Souvent, comme acteur nous dialoguons avec des inconnus, des fantômes, précieux et avenants. C’est comme cela que je voudrais approcher Daney, dans un dialogue. Il ne s’agira pas de l’imiter, de m’identifier à lui au sens où l’on parle de se « glisser dans la peau d’un personnage ».
La schizophrénie de l’acteur m’apparaît toujours assez douce et ludique à partir du moment où s’établit un dialogue avec le rôle, le texte ou l’auteur. Ce dialogue, on peut le faire sentir, le donner à voir sur le plateau, le faire affleurer afin que s’ouvre un espace entre soi et le texte. Il s’agit donc de jouer avec Daney et non pas à sa place. Jouer, c’est toujours une question de regard, de distance bonne ou mauvaise sur ce que nous devons interpréter. Daney, je le vois à une certaine distance. Pas en gros plan.

John Ford, Allan Dwan, Yasujiro Ozu, Nicholas Ray ont compté pour Wenders. Des contemplatifs. Des cinéastes de l’émotion, justement. (...) Émotion devant la précarité de l’instant et la beauté farouche du cinéma, capable de nous rendre la scène proche sans qu’il y ait besoin d’approcher la caméra (…) Ce qui sauve Wenders de sa propre facilité, c’est la certitude qu’il doit y avoir une distance (une seule) à partir de laquelle toute chose (homme et paysage) n’apparaît pas seulement comme étrangement « distanciée » mais comme la promesse affectueuse d’un secret (…).
Serge Daney, in Libération, 20 septembre 1984

Voilà ce qu’écrit Daney sur Paris-Texas de Wim Wenders. Cette « promesse », ce pourrait être une juste définition du geste à venir.


Enfance(s)

C’est aussi d’un secret, celui de l’enfance que me vient le désir de cet « entretien » avec Daney. Il y a cette phrase qu’il dit, citant sa mère : « Oh ! on fait pas la vaisselle, on la f’ra plus tard et on va au cinéma ».
Ma grand-mère prononçait la phrase aussi simplement et sans doute (j’imagine), avec la même légèreté, la même insouciance, comme s’il s’agissait d’aller faire un tour. On ne prémédite pas ce genre de chose, à peine la décide-t-on, on y va, c’est tout. Cette phrase scelle pour moi une commune appartenance à une certaine histoire de la culture et à une certaine géographie : celle du cinéma de quartier (le cinéma du bout de la rue) et du « parfum de la salle noire ». La salle comme un abri, un repli, un recours, comme une forêt.
Sur le plateau, un écran et la « présence » d’un seul film, comme s’il contenait en lui-même TOUT le cinéma. Un seul film comme l’écho d’un dialogue secret. Rio Bravo d’Howard Hawks.
« Oh ! on fait pas la vaisselle, on la f’ra plus tard et on va au cinéma. » C’est la formule d’un conte, l’injonction magique qui fait naître le désir de l’enfant et son attente. Au nombre des films qui ont regardé mon enfance, il n’y a aucun « chef-d’œuvre ». Il y a d’abord le bonheur promis par un titre à demi compris et quelques images à l’entrée du cinéma « L’Univers », rue d’Alésia.
Le visage d’un Indien. Mais l’Indien ressemble trop à un Indien pour être un vrai Indien. Pas grave. Le film s’appelle Winnetou ou bien Le Trésor des montagnes bleues. Une série de westerns, avec toujours le même Indien. Ma grand-mère et moi nous fichons de savoir qu’en fait, l’Indien est un acteur français. Il s’appelle Pierre Brice. Le réalisateur est allemand et les extérieurs ont été tournés en Croatie dans les années soixante. Qu’importe, il y a cet Indien, des montagnes, de l’eau et quelques hommes blancs pas fréquentables. Qu’importe, puisque c’est le cinéma vécu avant tout comme la promesse d’un monde.
Et c’est dans la salle noire (cette autre géographie), que la vie s’écoule en cachette, en secret. Ce temps suspendu entre le passé et le futur. Ce temps présent que je vivais comme une sorte d’absolu. Combien de fois, le mot « fin » m’a ainsi saisi dans le maelström de la sensation présente c’est-à-dire dans la sensation exacte de l’instant qui vient juste de s’écouler ; sentant déjà passer sur moi l’aile du « cela aura été ».

« Oh! on fait pas… » Cette phrase recèle pour moi un autre secret bien gardé, celui-là ; celui de mon autre grand-mère, de sa disparition violente (une histoire de la fin de la guerre) qui dessine les contours d’un manque, d’une absence brutale et d’une colère non dite, pour ma mère. Et qui m’étant transmis, devient en moi l’écho d’une mélancolie, d’un adieu infini. Et je crois que certains films ont vu cela.
C’est à une mémoire intime que cette phrase me renvoie, comme un écho à ma propre enfance. Un passé qui se re-compose, se réécrit, à travers la parole de Daney. Une histoire qui se transmet à nouveau et dont on a hérité sans le savoir.

Mais la transmission ne passe jamais par la langue du pouvoir. Elle est la trace en nous de ce dont nous ne pouvons témoigner mais dont nous avons le secret et que nos actes de parole ne cessent pourtant de restituer, par-devers nous.

C’est peut-être ainsi que se fonde notre rapport à l’art, à une forme d’expérience inaliénable.


Post-scriptum : un Rêve

Passeur, je suis resté au milieu du gué, en attendant que d’une rive ou de l’autre quelqu’un m’appelle ou me tende la main, et comme ça n’arrivait jamais, je me suis mis à donner de la voix et à faire passer de petits messages oraux ou écrits, pour donner des nouvelles d’une rive à l’autre sans appartenir moi-même à l’une de ces rives. Ni celle des gens normaux qui consomment les films, ni celle de ceux qui « font », les artistes (…).
Serge Daney, in Persévérance

 

Nicolas Bouchaud, décembre 2009

Serge DaneyPortrait

SERGE DANEY

Il naît en 1944 dans le 11e arrondissement de Paris, un quartier central et populaire dont la Bastille est l’épicentre, et qu’il habitait toujours l’année de sa mort, en 1992. Critique de cinéma, il exerça aux Cahiers du Cinéma (1973-1981) puis à Libération (1981-1991) et fonda la revue Trafic (1991, éditée par P.O.L.) peu de temps avant sa mort.

Sa passion du cinéma s’ancre dans son enfance. Fils unique, il est élevé par sa mère et sa grand-mère, son père, juif, ayant disparu pendant la guerre. Ainsi il accompagne sa mère dans « les salles de cinéma du bout de la rue ». Commence alors une véritable expérience existentielle à laquelle il ne cessera de se référer. Toute sa vie sera consacrée à analyser cette expérience pour en déduire une éthique du regard et tâcher de la transmettre. En 1962 Louis Skorecki, un camarade de lycée, fonde une revue intitulée Visages du cinéma pour laquelle Serge Daney écrit son premier article : Rio Bravo - Un art adulte. Ils partent ensemble aux Etats-Unis interviewer les quelques cinéastes encore vivants et encensés par la Nouvelle Vague et sa revue, Les Cahiers du cinéma, en espérant la publication des entretiens réalisés. Serge Daney commence ainsi sa collaboration avec la revue, modestement, irrégulièrement, continuant d’approfondir une expérience de plus en plus singulière.
À partir de 1968 il entreprend de longs voyages en Afrique, en Inde, marcheur inlassable, arpenteur confrontant la géographie aux images. En 1973, alors que les Cahiers du Cinéma traversent une crise tant politique qu’esthétique, on propose à Serge Daney d’en être le rédacteur en chef. Il accepte et sert pendant 8 ans la revue jusque dans ses impasses idéologiques, « redressant la barre » ensuite, mais ne renonçant jamais à guetter les films du monde entier et le cinéma dans ces films, quelles que soient les intentions affichées par leurs auteurs. En 1981, il quitte la revue pour entrer au quotidien Libération et participer à la nouvelle formule du journal. Élargissant considérablement le cercle de ses lecteurs et l’amplitude de sa réflexion sur les images : films, télévision (la célèbre chronique Le salaire du zappeur), et médias en général. Il défend, pourfend, lutte avec humour et précision contre la récupération mercantile ou la disparition programmée de cette culture collective du regard, donc du rapport au monde, que le cinéma, art populaire et sophistiqué, avait inventé un siècle plus tôt. De 1985 à 1990, il anime une émission hebdomadaire, Microfilms, sur France Culture, où il reçoit un invité pour parler de sujets ayant trait au cinéma.

En 1991, il fonde sa propre revue, Trafic, éditée par P.O.L.
Itinéraire d’un ciné-fils est réalisé en 3 jours, en janvier 1992.
Il meurt du Sida avant l’édition du 4e numéro de Trafic, le 12 juin 1992.

1973-1981

critique cinéma puis rédacteur en chef aux Cahiers du Cinéma 

1981-1991

critique cinéma à Libération

1991

fondation de la revue Trafic

1992

Itinéraire d'un ciné-fils

La Loi du marcheurPresse

La Loi du marcheur est une confidence formidable. Nicolas Bouchaud se situe à la frontière entre le je et le jeu. Il donne à chacun le sentiment d’être non pas un spectateur, mais un interlocuteur dans l’oreille de qui tombe une pensée sans cesse en mouvement. Cela donne à la soirée une tonalité particulière, enthousiasmante et touchante. Peu importe que l’on connaisse ou non Serge Daney, ou que l’on soit cinéphile ou pas.
BRIGITTE SALINO - LE MONDE

Vous avez rendez-vous avec l’intelligence. La mise en scène d’Éric Didry est sobre. Ce dépouillement laisse toute sa place au texte. Et à Nicolas Bouchaud toute liberté pour déployer son talent et trouver la juste distance par rapport à son sujet.
THIERRY GANDILLOT - LES ÉCHOS

La Loi du marcheur parvient à pénétrer un cerveau : celui d’un passeur qui réussit à transmettre sa passion à force de réflexions sincères, de recherches sur soi, de travail gourmand. Grâce au timbre chaleureux et drôle, à la silhouette plastique et dégingandée du comédien, une magnifique leçon de vie et de cinéma se joue.
FABIENNE PASCAUD - TÉLÉRAMA

Il s’agit d’un de ces spectacles miraculeux, qui naissent comme un croquis vif, et possèdent une telle densité qu’ils deviennent cultes.
ARMELLE HÉLIOT - FIGAROSCOPE

La Loi du marcheurGénérique

un projet de et avec Nicolas Bouchaud
mise en scène Éric Didry d’après Serge Daney, Itinéraire d’un ciné-fils, un film de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin, entretiens réalisés par Régis Debray
adaptation Véronique Timsit, Nicolas Bouchaud, Éric Didry
collaboration artistique Véronique Timsit scénographie Élise Capdenat lumière Philippe Berthomé
son Manuel Coursin régie générale Ronan Cahoreau-Gallier
vidéo Romain Tanguy, Quentin Vigier
production Nicolas Roux
​production déléguée Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
coproduction TNT, Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées ; Compagnie Italienne avec Orchestre ; Festival d’Automne à Paris, Théâtre du Rond-Point

Le Méridien

Paul Celan
Nicolas Bouchaud
Eric Didry

C’EST PAR LA RESPIRATION QUE NOUS COMPRENONS UN TEXTE, QUE NOUS POUVONS EN RESSENTIR ET EN TRANSMETTRE, PEUT-ÊTRE LES COUCHES PROFONDES. C’EST PAR LA RESPIRATION QUE NOUS CRÉONS DE L’INCERTITUDE ET DONC DU PRÉSENT, SUR UNE SCÈNE.
NICOLAS BOUCHAUD

Dans l’allocution qu’il prononce en recevant le prix Büchner 1960, le poète roumain Paul Celan envisage la poésie comme une « contre-parole », un acte de dégagement  et de libération. Convoquant le théâtre de Büchner, celui qui n’a cessé de dire non à la langue des bourreaux s’affirme puissamment. Acteur-penseur le temps du discours, il fait du poème un dialogue : « Je ne vois pas de différence entre une poignée de main et un poème ». Au moment de son «serrement », pour reprendre le mot de Levinas, le langage se donne et s’offre, « pur toucher », comme une caresse ou un clin d’œil.

Théâtre
8 > 10 Février
jeu 8 fév / 20:00ven 9 fév / 20:00sam 10 fév / 20:00
théâtre Garonne

durée 1h05
de 10 à 25 € / 10 € le spectacle supplémentaire
Le MéridienEntretien

De quoi parle «Le Méridien», discours prononcé par le poète Paul Celan en 1960 lors de la remise du prix Büchner et matériau de votre nouvelle création en collaboration avec Eric Didry ?

Nicolas Bouchaud : Dans Le Méridien, Paul Celan nous livre, à travers un discours, ce qu’il perçoit de son acte poétique. Quelques mois avant la réception du prix, dans une lettre adressée à Ingeborg Bachmann, il s’interroge sur la possibilité de développer une réflexion sur sa propre pratique. Il relève le défi et produit un texte tout à fait singulier qui joue avec tous les codes d’un discours de réception mais qui se dévoile peu à peu comme une performance poétique. Le Méridien n’est pas un discours sur la poésie mais avant tout la parole d’un poète. C’est aussi de manière plus sibylline et plus cryptée la parole d’un homme révolté. C’est pourquoi il existe dans Le Méridien une très grande force de l’adresse. Dès le début, s’appuyant sur le théâtre de Büchner et la tirade de Camille Desmoulins sur l’art dans La Mort de Danton, l’acteur Paul Celan choisit de mettre en scène un couple étonnant : l’art et la poésie. Souscrivant à la thèse de Büchner et à son rejet de l’art officiel (« Tout ceci n’est qu’artifice et mécanique, carton-pâte et horlogerie »), la poésie est pour Celan une contre-parole, un pas de côté par rapport à l’art. Non pas exactement que l’art soit étranger à la poésie mais bien, oui, que la poésie est l’interruption de l’art. Quelque chose comme « le souffle coupé » de l’art.
L’événement de la poésie est un « dégagement », une libération, au sens d’un acte libre. C’est ainsi que Celan interprète le cri «Vive le roi», que pousse le personnage de Lucile à la fin de la pièce de Büchner, juste après qu’elle a vu son mari, Camille Desmoulins, Danton et les autres se faire guillotiner. Ce cri, nous dit Celan, n’est pas une prise de position en faveur de l’ancien régime, c’est une contre-parole. Elle révèle « une majesté de l’absurde » - la parole de Lucile ne s’oppose proprement à rien - et témoigne de la « présence de l’humain ». C’est un acte, c’est un geste, celui de la poésie. La poésie pour Celan commence par un « non » qui se paie au prix de la vie : en criant Vive le roi , Lucile se donne la mort. Mais c’est sur ce mode qu’une parole parvient encore à s’exprimer. La poésie advient là où cède, contre toute attente, le langage.
Ce « non », Celan l’adresse aussi à la langue allemande, la langue des bourreaux qui ont assassiné sa famille et détruit sa propre existence. C’est dans cette langue à la fois maternelle et criminelle qu’il continuera de traduire la poésie de Mandelstam, Shakespeare ou Michaux… C’est dans cette langue et à travers son œuvre qu’il répondra par la négative à l’assertion d’Adorno : « Ecrire un poème après Auschwitz est barbare ». C’est dans cette langue que sa poésie cherchera de nouveaux horizons. Ces horizons il les cherche avec le doigt imprécis de l’enfant posé sur sa mappemonde.
En géographie un méridien est un demi-cercle imaginaire tracé sur le globe terrestre reliant les pôles géographiques.
Pour le poète, il est une ligne immatérielle certes mais surtout terrestre. Quelque chose survient en lien avec autre chose, quelque chose vient lier (tenir) des événements et des faits ensemble. Le Méridien devient alors la ligne qui relie des dates, des lieux, des personnes qui, à priori n’ont pas de rapport entre elles. Le Méridien c’est ce qui dessine notre cartographie intérieure. Une géographie de l’intime. Un paysage de désir. Une utopie.
C’est à dire : aucun lieu. Ce qui est désirable mais n’existe nulle part. Le poème va du lieu (de la date, de l’événement) vers le non-lieu. D’ici vers l’utopie. «Nous sommes loin dehors» dit Celan vers la fin de son discours. Comme si l’utopie était non pas le rêve et le lot d’une maudite errance mais la clairière où l’homme se montre dans la clarté. Clarté de l’utopie, hors de tout enracinement et de toute domiciliation ; apatridie comme authenticité.

Dans quelle mesure le discours de Paul Celan peut-il devenir un geste de théâtre ?

Nicolas Bouchaud : Le Méridien est un discours, donc une adresse directe à un public. Il subsiste à l’intérieur du texte une forme d’oralité que le style elliptique de Celan accentue. Le fil de la parole s’interrompt régulièrement pour laisser passer dans les interruptions une autre voix comme si deux ou plusieurs discours se superposaient.
On entend quelqu’un qui pense à vue, devant nous, qui s’interroge lui-même et interroge son auditoire. Ces incises, ces questions et autres digressions sont des leviers concrets pour donner vie à cette parole. Mais c’est surtout avec le théâtre (celui de Georg Büchner) que Celan choisit d’apparaître sur une scène allemande, quinze ans seulement après la chute du régime nazi. C’est dans la conscience d’une forme assumée de théâtralité qu’il décide de s’adresser à une assemblée composée par des spécialistes de l’art et de la littérature. Dès son apparition, quelque chose se joue dans la présence même de Paul Celan sur la scène. Une tension, une disposition intérieure qui déjà nous alerte et déplace notre écoute. Un rien, un souffle, je ne sais pas, une façon de dire, de lancer un défi, une manière d’attaquer le monde avec sa bouche.

Quelque chose qui, sous le masque de la convention («Mesdames, messieurs»), mine tout le cérémonial du discours. «Que croyez-vous que je fais là devant vous ?», telle m’apparaît être, je ne fais que l’imaginer, la question dont ne se départit jamais l’acteur-Celan tout au long de son discours. Ce que la question met en jeu et éclaire c’est une certaine façon de se tenir debout. Je pense aux premiers mots de Cébès dans Tête d’or de Claudel : «Me voici, imbécile, ignorant, homme nouveau devant les choses inconnues.» Une parole qui ne se dissocie pas du corps de celui qui la prononce, ramenant l’acteur-Celan à sa situation présente face aux spectateurs c’est à dire ouverte et faillible. Rien ne dit mieux pour moi la situation originelle et sans cesse recommencée de l’acteur à l’instant de son entrée en scène où tout se joue, où tout s’engage de son face à face avec la salle. C’est cela que je vois d’abord chez l’acteur-Celan : une façon de faire face.

Dans La Loi du marcheur et Un métier idéal vous créez un rapport de proximité et même parfois de dialogue et de connivence avec le spectateur. Quel lien avez-vous imaginé avec le public pour Le Méridien ?

Nicolas Bouchaud : Il y a le titre d’un livre de Maurice Blanchot que par ailleurs je n’ai pas lu, qui me revient souvent en tête : L’entretien infini. S’entretenir. Le verbe serait à prendre dans les deux sens : à la fois inventer une forme de dialogue avec le spectateur mais aussi s’entretenir au sens de prendre soin les uns des autres, garder la forme, rester debout, vigilant, dans l’alerte de la pensée. Nous cherchons avec Eric Didry, Veronique Timsit, Elise Capdenat, Manuel Coursin, Philippe Berthomé, Ronan Cahoreau-Gallier, à créer des espaces les plus ouverts possible.
À chaque fois, nos spectacles interrogeaient en filigrane la pratique de l’acteur et plus largement celle du théâtre en les confrontant à des pratiques différentes. Créer des ponts, des passerelles imaginaires entre différentes pratiques. À partir de là, nous pouvions reformuler un certain nombre de questions : Qu’est ce qu’on fait exactement quand on joue ? Quelle expérience partage t- on avec le spectateur ? Cette question du partage avec le public, nous devons la réinventer à chaque spectacle. C’est le texte lui-même, bien sûr, qui nous met sur la voie.
Le Méridien dans sa progression, dans son cheminement, finit par se confondre avec la tâche que Celan assigne au poème : créer un dialogue qui va d’un «Je» vers un «Tu». «Le poème se tient dans la rencontre, dans le secret de la rencontre» dit-il. Cette rencontre ne se fait pas autour d’un message à transmettre, autour d’une communication. La poésie pour Celan est de l’ordre de la vision (mais sans transcendance). Elle devance le réel, s’ouvre sur un autre réel, s’adressant à notre disponibilité, réclamant notre attention. Le poème est d’abord un réceptacle, une possibilité d’accueillir l’autre, un signe adressé à l’autre. Nous sommes très proches de la façon dont le docteur Sassall s’adresse à ses patients et les écoute dans Un métier idéal.
«Je ne vois pas de différence entre une poignée de main et un poème” écrit Celan dans une lettre à Hans Bender.
Voilà le poème ramené au niveau d’une expression aussi peu articulée qu’un clin d’œil, au moment où il devient «pur toucher», «pur contact», au moment de son «saisissement» et de son «serrement» pour reprendre les mots d’Emmanuel Levinas dans son commentaire du Méridien. La poésie devient alors un langage de la proximité qui se donne et s’offre à l’autre. C’est à partir de cette expérience poétique que nous pouvons imaginer une forme de partage avec les spectateurs.

Avec Le Méridien, allez-vous chercher à interroger et à mettre en scène votre pratique d’acteur et plus largement l’acte même de faire du théâtre ?

Nicolas Bouchaud : Lorsque j’ai lu Le Méridien pour la première fois en 2002, je ne connaissais pas les poèmes de Celan, encore moins sa vie et l’impact de la Shoah sur son écriture. Je l’ai lu d’abord comme un texte d’une beauté fulgurante qui dialoguait parfaitement avec mes interrogations sur le théâtre, avec le travail de l’acteur, le rapport au texte, etc.
Aborder Celan c’est se déprendre de ses habitudes, accepter que le langage ne nous renvoie pas à une reproduction, à une imitation du réel. Celan refuse tout usage de la métaphore. Les mots composés qu’il crée sont toujours à prendre au sens propre comme des créations de choses et en aucun cas comme des images.
Si la poésie est, pour Celan, une interruption de l’art c’est qu’elle est avant tout une interruption de la mimésis (de la représentation). L’acte poétique serait, avant tout, un mode d’apparition du langage, consistant à percevoir, non à représenter. Ce qui est «en train d’apparaître» ne se représente pas.
À l’instar du poète, ce dont l’acteur peut témoigner, à travers sa pratique c’est que la poésie n’est pas une expression imagée des choses. Pour atteindre le cœur d’un vers, d’une phrase, d’un mot, il n’y a aucune expression imaginée qui vaille. La poésie n’est pas jolie ou circonscrite dans son intangible beauté, elle est un moyen d’accéder à une autre perception des choses, vers l’expression la plus dégagée, la plus ouverte et la plus radicale de ce que nous ressentons.
Dans un passage du Méridien, Celan invente cette expression de «tournant du souffle» pour qualifier le poème. Ce moment intermédiaire où le flux respiratoire s’inverse et repart dans l’autre sens. Il crée une poésie «pneumatique». C’est là, je crois, que sa poésie rencontre l’endroit le plus intime de l’acteur : sa respiration. C’est par la respiration que nous comprenons un texte, que nous pouvons en ressentir et en transmettre, peut-être, les couches profondes. C’est par la respiration que nous créons de l’incertitude et donc du présent, sur une scène.

Nous ne sommes plus dans l’imitation, nous ne sommes plus dans la représentation (d’un personnage ou d’une idée). Nous sommes dans l’acte de devenir nous-même, créant une vie en train de se faire et dramatiquement en train de se faire c’est-à-dire toujours susceptible de ne pas se faire. Et dans ce présent incertain que l’acteur épaissit et densifie, dans lequel il avance pas-à-pas dans la retenue de l’expiration et du souffle, dans le pur suspens de la parole, ce qu’il crée, c’est du temps, du temps pour l’autre, pour celui qui l’écoute et le regarde parler. Voilà je crois, l’endroit de rencontre entre Le Méridien et la pratique de l’acteur.
Ce moment où le langage s’offre dans son surgissement, cet instant premier et toujours recommencé de la parole qui s’incarne dans un geste, dans un corps. Parole qui vaut d’abord comme un signe fait à l’autre, une poignée de main ou une bouteille à la mer. Parole qui dit notre épreuve commune, à la manière d’Edgar dans Le Roi Lear : «Dire ce que nous sentons et non ce qu’il faudrait dire ».
 

Peut-on dire que Le Méridien s’inscrit dans une trilogie après La Loi du marcheur  et Un métier idéal ? Si c’est le cas, quels sont les liens que vous tissez d’un texte à l’autre ?

Nicolas Bouchaud : Il n’y a pas de ligne générale qui relierait les trois spectacles. C’est la même équipe de création et je suis seul sur scène. Il y a aussi cette question dont j’ai parlé plus haut et qui consiste à inventer des croisements entre des pratiques différentes. Mais le mot peut-être qui rassemble le mieux nos trois spectacles c’est celui de transmission. C’est un mot qui me tient à coeur. Pour la porter sur scène j’ai besoin de sentir la force de transmission qui se dégage d’une parole. Transmettre une expérience en compagnie de Daney, de Berger, de Celan à travers le cinéma, la médecine, la poésie. Bifurquer, digresser, emprunter tel petit sentier escarpé, revenir sur une route plus balisée. Mais avancer pas-à-pas, ensemble (acteur et spectateur), sans brûler les étapes. C’est ce cheminement qui constitue l’édifice souterrain de mon désir.

 

Partagez-vous la formule d’Hölderlin : « A quoi bon les poètes en ces temps de détresse ? »

Nicolas Bouchaud : Je répondrai par un autre vers d’Holderlin que Didier-Georges Gabily avait placé en exergue d’une de ses pièces : «(…) mais l’erreur/ Comme le sommeil nous aide, et la détresse rend fort ainsi que la nuit.» Peut-être que les poètes nous y aident. Pour Paul Celan la poésie s’invente sous le signe de la mémoire comme il l’explique dans son discours.

 

Définiriez-vous l’art théâtral avec ce même terme ?

Nicolas Bouchaud : De façon prosaïque la mémoire c’est d’abord un muscle, c’est le premier outil finalement. Il y a une question qui revient toujours dans les débats avec le public: «comment faites-vous pour retenir tout ce texte ?» C’est sûrement une question moins banale que ce que j’ai toujours voulu croire. La mémoire d’une date ou d’un événement ne se présente pas à nous dans sa pleine lumière. Il en va de même quand on apprend un texte. Sa part d’ombre lui reste attachée. La mémoire fonctionne par association, montage, superposition, hallucination, oubli volontaire ou non. Elle navigue entre l’ombre et la lumière. Des paysages inconscients, obscurs parfois, continuent de s’enrouler autour des mots qu’on mémorise. La mémoire au théâtre est toujours intimement liée à l’instant présent de la représentation. Elle est toujours en mouvement, toujours en action, toujours instable. La mémoire n’existerait pas sans l’oubli qui lui reste attaché à la fois comme une menace mais aussi comme ce qui la sauve. J’ai le sentiment que Paul Celan procède de la même façon : la mémoire ne vient pas commémorer un événement. Il y a une réinterprétation poétique de la mémoire qui ne fige pas l’événement dans son passé mais le transforme en lui donnant une direction nouvelle et inattendue. Cette transformation a lieu à travers une parole poétique, actualisée, dégagée, sous le signe d’une individuation radicale dans «l’ici et maintenant du poème» (Celan).

Propos recueillis par Agathe Le Taillandier

Paul CelanPortrait

Paul Celan (nom d’écrivain de Paul Antschel) est né en 1920 à Czernowitz en Roumanie dans une famille juive de langue allemande. Après une première année de médecine à Tours (1938-39), Celan revient dans son pays où il subit les persécutions fascistes et nazies : il est interné deux ans dans des camps de travail roumains. Victimes de la barbarie nazie ses parents disparaissent en Transnistrie. En 1948, Celan s’installe à Paris où il sera lecteur à L’École Normale supérieure. Très vite reconnue dans l’espace germanophone et couronnée de prix prestigieux, son oeuvre radicalement novatrice est le carrefour de toutes les traditions poétiques occidentales et juives, de Shakespeare à Mandelstam, en passant par Yehuda Halevi, Rimbaud , Valéry, Char, Ungaretti, Pessoa, Michaux dont Celan est l’incomparable traducteur.
Ses poèmes qui témoignent d’une extrême attention à l’histoire et à l’actualité, frappent aussi par leur sobriété, la simplicité et l’évidence de leurs engagements en faveur de l’humain. L’œuvre de Paul Celan en particulier la célèbre « Fugue de mort » est un témoignage et un combat contre toute forme de barbarie. Celan s’est donné la mort en se jetant dans la Seine à Paris en 1970.
 

Le MéridienPresse

Ce discours dont il dit qu’il dialogue avec ses propres interrogations, Nicolas Bouchaud le joue, le surjoue et, pourtant, tout en faisant son numéro, se contente d’être là, présence simple et forte, qui offre aux paroles obscures du poète son souffle et sa passion, et nous emporte.
JEAN-LUC PORQUET - LE CANARD ENCHAÎNÉ

Ce n’est pas rien, le chemin qu’est en train de tracer Nicolas Bouchaud dans le théâtre français. Un chemin totalement singulier qui, avec Le Méridien, se dessine un peu plus nettement. Ce qui s’y dessine, c’est une figure nouvelle et passionnante d’acteur-créateur, d’acteur-penseur, d’acteur-chercheur. Bouchaud et son équipe parviennent pourtant à en faire un spectacle on ne peut plus vivant et intense, qui s’approche au plus près de l’expérience humaine vitale qu’est pour Celan la poésie.
FABIENNE DARGE - LE MONDE

Nicolas Bouchaud a perçu la puissance théâtrale contenue dans ce cheminement sinueux de la pensée. Il ne lâche jamais le spectateur. Il l’entraîne en dehors de lui-même. Par sa conviction, son engagement, il clarifie la source des mots, des concepts fulgurants, qui, s’il n’y prenait garde, s’évanouiraient en un nuage de craie – tel celui qu’il provoque après une danse échevelée. Bouchaud, c’est Brel chantant sur scène et donnant tout. La poésie le possède. II a une confiance absolue dans le verbe. En menant le public au seuil de l’insaisissable beauté, il trace avec lui un nouveau méridien.
PHILIPPE CHEVILLEY - LES ÉCHOS

Le MéridienGénérique

un projet de et avec Nicolas Bouchaud
mise en scène Éric Didry d’après Le Méridien de Paul Celan
traduction Jean Launay, Irène Bonnaud, et pour les poèmes Jean-Pierre Lefebvre, Martine Broda, Valérie Briet adaptation Véronique Timsit, Nicolas Bouchaud, Éric Didry
collaboration artistique Véronique Timsit
scénographie Élise Capdenat lumière Philippe Berthomé
son Manuel Coursin régie générale Ronan Cahoreau-Gallier
Texte publié aux Éditions du Seuil
production Nicolas Roux
production déléguée Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
coproduction hTh, Centre dramatique national de Montpellier ; Théâtre du Rond-Point ; Théâtre National de Strasbourg ; Festival d’Automne à Paris ; Le Domaine d’O, Montpellier ; Compagnie Italienne avec Orchestre

Maîtres Anciens

Thomas Bernhard
Nicolas Bouchaud
Eric Didry

RAGER, AU BEAU MILIEU DE LA SALLE DE MUSÉE, CLAMER SA HAINE DES ARTISTES ET DE LA FAMILLE ET EN MÊME TEMPS L’IMPOSSIBILITÉ DE VIVRE SANS EUX.

Thomas Bernhard donne de la joie parce qu’il nous libère. Entre satire et chronique familiale, Maîtres anciens est un roman-monologue qui interroge la notion d’héritage. Il ouvre un espace de parole au vieux Reger, critique musical qui a sa banquette réservée au musée d’Art ancien de Vienne face à L’Homme à la barbe blanche du Tintoret. Pour leur nouvelle création, Nicolas Bouchaud et Éric Didry reprennent son texte hanté par les voix des vivants et des morts afin d’enjoindre les spectateurs à « penser de manière critique en sapant ce qu’il y a de règles rigides et de convictions générales ».

Théâtre
15 > 17 Février
jeu 15 fév / 20:00ven 16 fév / 20:00sam 17 fév / 20:00
théâtre Garonne

durée 1h30
de 10 à 25 € / 10 € le spectacle supplémentaire
Maîtres Anciens Intentions Maîtres anciens

L’ART, LE GESTE, LE DEUIL ET LA FAMILLE

Ne pensez pas devoir penser c’est une erreur, c’est contraire à l’intelligence que vous affichez, pensez : travail, gens, matin, pléthore, fruits, pieds écrasés, étroitures le matin, l’après-midi, le soir, pensez volumes sonores, courants aériens, allées de peupliers, collisions ferroviaires, maçons, manoeuvres, confectionneurs, professeurs d’heures supplémentaires, mélangez tout.

Dans les hauteurs, Thomas Bernhard.

Maîtres anciens publié en 1985 est l’avant-dernier roman de Thomas Bernhard. Il se déroule entièrement dans une salle du musée d’Art Ancien à Vienne. Trois personnages sont là. Atzbacher – le narrateur – a rendez-vous avec le vieux Reger, critique musical que depuis trente ans le gardien du musée, Irrsigler, laisse s’asseoir sur sa « banquette réservée » dans la salle Bordone en face du tableau du Tintoret : « L’homme à la barbe blanche ».

Atzbacher arrive un peu en avance pour observer son ami Reger, récemment devenu veuf. Nous n’apprendrons qu’à la toute fin la raison qui a conduit Reger à donner rendez-vous à Atzbacher.

Dans ce laps de temps contenu entre l’arrivée d’Atzbacher au musée et l’explication finale du rendez-vous par Reger, l’écriture de Bernhard ouvre un espace de parole. Dans ce présent en suspens, naissent par la voix des personnages des spéculations, des réflexions sur l’art, l’état catholique, la saleté des toilettes viennoises, le deuil, les guides de musée ou encore sur l’industrie musicale « véritable massacreur de l’humanité »… (La liste n’est pas exhaustive).

En grand satiriste, Bernhard, plus encore que dans ces autres romans, pousse à bout sa machine obsessionnelle et éruptive. Reger ne ménage personne et s’en donne à coeur joie. C’est un joyeux massacre dont les victimes principales sont Stifter, Heidegger, Bruckner, Beethoven, Véronèse ou Klimt c’est à dire une partie du patrimoine culturel européen.

« J’ai besoin d’un auditeur, d’une victime en quelque sorte pour ma logorrhée musicologique » dit Reger.

Sous ses habits de critique musical Reger est un acteur, un « funambule de la corde sensible », un « terroriste de l’art ». (1)

L’écriture de Bernhard, par la puissance de son adresse, prend à parti le lecteur, convoque le spectateur, s’énonce à partir d’une scène imaginaire. Cela m’apparaît encore plus fortement dans ses romans que dans son théâtre. C’est une écriture physique où il arrive que le rythme d’une phrase transmette le message le plus important, on est sans arrêt en mouvement dans une fluctuation incessante entre le sublime et le grotesque de nos vies.

Comme son sous-titre l’indique, Maîtres anciens est une comédie.
Chez Bernhard le rire est une vertu qui me ramène sensiblement au lien qui unit la littérature à l’air que nous respirons, au dehors, à l’oxygène. Le rire arrive comme un précipité chimique, par un effet d’implosion. Chaque phrase vient en surplus de la précédente jusqu’à la faire déborder, jusqu’à faire imploser le texte. J’y vois une forme de dépense prodigieuse du souffle et de la langue. Un « trop » de la parole. Une dépense. Une parole qu’on pourrait dire hors d’usage. L’écriture de Bernhard ne peut pas se comprendre à travers un prétendu message, ce qu’elle montre c’est un geste : « elle veut produire un effet et en même temps ne le veut pas ; les effets qu’elle produit, elle ne les a pas obligatoirement voulu (…) modifications, déviations, allègement de la trace (…) ». (2)

L’écriture n’habite nulle part – si ce n’est dans cette salle de musée semblable à une forêt Shakespearienne – elle est absolument de trop, dévoilant tout le « pour rien » de l’homme : sa perversion, sa dépense.
Je pense à dada, à l’année 1916, à Hugo Ball et Richard Huelsenbeck sur la scène du Cabaret Voltaire. Je pense à l’année 1977, au rire de Johnny Rotten à la première seconde du morceau « Anarchy in the UK » des Sex Pistols, Je pense au mois d’Avril 1950 et à l’invasion de la cathédrale Notre-Dame par des artistes du mouvement « Lettriste » : « Nous accusons l’église catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire… ». Je pense que parfois le scandale est réjouissant. Je pense à l’acteur, je pense au bouffon, à la couleur, à l’amour de Bernhard pour le cirque, je pense à Max Von Sydow et à sa troupe d’acteurs humiliée par les bourgeois de province dans « Le visage » de Ingmar Bergman. Je pense à la dépense. Je pense à ce qui ne rapporte rien.
On se tromperait, je crois, à ne voir dans « Maitres anciens » qu’une diatribe roborative contre l’art ou l’état autrichien. Au fil de cette digression infinie où le texte passe d’un sujet à l’autre, on entend les voix des personnages dévoiler des pans de leurs vies. À ces biographies fictives, Bernhard ajoute quelques moments de la sienne. Maîtres anciens est un texte très peuplé, hanté par les voix des vivants et des morts. Je crois que comme Paul Celan, Bernhard n’oublie jamais de regarder la direction ultime de nos paroles. Peu à peu la satire fait place à un roman familial dans lequel s’intercalent quelques pages arrachées d’un journal de deuil. L’évocation grandissante par Reger de la mort de sa femme fait directement écho à la disparition de la compagne de Bernhard: « une ouvreuse d’horizons » comme il le dit lui-même dans un entretien.
Dans tous ses romans Bernhard parle de la famille, à chaque fois qu’il veut la détruire, elle ressurgit en lui.
Ces Maîtres anciens ne sont donc pas seulement les grands artistes et philosophes de notre patrimoine culturel, ce sont aussi ceux de notre propre descendance, de notre patrimoine familial. Reger, au beau milieu de la salle du musée, clame sa haine des artistes et de la famille et en même temps l’impossibilité de vivre sans eux. Cette apparente contradiction n’est pas une aporie. C’est une tension entre deux énoncés contraires qui allume la mèche. Ce que Bernhard interroge avec l’énergie d’un combattant c’est la notion d’héritage. Et le défi qu’il nous lance c’est de chercher une issue pour sortir du chemin tracé et balisé de notre histoire officielle.
C’est autour de ces mots d’ « héritage » et de « transmission » que nous chercherons une expérience, un geste singulier à partager avec les spectateurs.
En songeant peut-être à cet aphorisme tiré des « Feuillets d’Hypnos » que René Char écrit pendant la seconde guerre mondiale au moment où il s’est engagé dans la résistance.

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».
Commentant cet aphorisme, Hannah Arendt relie ce moment de la résistance au surgissement des périodes révolutionnaires dans notre Histoire, à l’apparition imprévisible de ces évènements. Rien dans le passé ne nous a préparé à de tels bouleversements et rien ne nous dit comment les transmettre.
« Sans testament ou pour élucider la métaphore sans tradition, il semble qu’aucune continuité dans le temps ne soit assignée et qu’il n’y ait par conséquent humainement parlant ni passé ni futur (…) » (3).

Ces évènements ouvrent une brèche dans notre présent. Cette brèche entre le passé et le futur, Arendt en fait la condition même de la pensée.
Penser librement c’est tenter de former son propre jugement en s’affranchissant de la tradition qui choisit nomme et conserve.
S’il y a une éthique dans l’écriture de Bernhard je crois qu’elle est dans le prolongement de cette brèche. A l’instar de Reger, Bernhard crée des paysages de pensées où il n’existe aucune transition psychologique entre deux énoncés opposés. Le cours de nos pensées a son autonomie propre souvent indépendante de nous et cela lui donne une forme irrationnelle et radicale qui obéit aux impératifs de l’instant. L’indécence et la provocation de certains passages sont la conséquence de cet enchainement radicalement impudent de pensées.

S’affranchir de la tradition, penser de manière critique en sapant ce qu’il y a de règles rigides et de convictions générales. Je crois que c’est à cela que Bernhard nous invite. C’est ce chemin en tout cas que nous aimerions emprunter avec lui. Ou pour le dire autrement avec Kafka : « sauter en dehors du rang des assassins ». Thomas Bernhard donne de la joie parce qu’il nous libère. C’est un grand destructeur mais comme tous les grands destructeurs il est aussi un grand constructeur. Il fait droit à la protestation contre une souffrance radicalement inutile.

Nicolas Bouchaud, mars 2017.

1) Thomas Bernhard : « Minetti »
2) Roland Barthes : « Cy Twombly »
3) Hannah Arendt : « La crise de la culture ».

Maîtres Anciens Entretien

ENTRETIEN AVEC NICOLAS BOUCHAUD

Dans vos précédents spectacles, vous avez travaillé à partir de textes de Serge Daney, Paul Celan, John Berger... Est-ce que ce sont vos maîtres anciens ? Est-ce qu’il y a un parallèle à faire entre le propos de Thomas Bernhard dans Maîtres anciens et votre intérêt pour ces figures tutélaires ?

Je n’ai jamais aspiré à travailler sous l’égide de figures tutélaires. Et je crois qu’aucun de ces auteurs ne pourraient revendiquer ni encore moins souhaiter ce titre de « maître ».
Leur œuvre va justement à rebours de cette appellation. Je m’intéresse à des textes qui viennent plutôt mettre à mal ou réinterroger une vision canonique, traditionnelle de l’art car c’est cette conception-là qu’il faut entendre sous l’expression « maîtres anciens ». Comment l’histoire nationale et culturelle d’un pays transforme ses artistes du passé en « maîtres anciens ». Comment aussi, parfois, certains de ces artistes ont travaillé eux-mêmes à leur propre muséification. À travers un dialogue d’amour-haine avec ces « maîtres anciens », Bernhard interroge notre rapport à la tradition.
Il me semble que parlant des grands peintres, écrivains et musiciens de notre culture européenne, Thomas Bernhard, dans son roman, pose la question de l’héritage et de sa transmission. Lorsqu’ils commencent à écrire, Paul Celan comme Thomas Bernhard, au sortir de la guerre et des atrocités nazies, se situent en rupture avec l’art officiel. Ils ne font pas table rase du passé mais restent dans un dialogue mouvementé, acharné, furieux avec leur héritage culturel. Paul Celan refonde la poésie de langue allemande à partir de la Shoah. Il dit lui-même qu’il veut « enjuiver » la langue allemande. Ce geste d’écriture, comme celui de Thomas Bernhard qui s’appuie sur sa haine de l’État catholique autrichien, est forcément en rupture avec une conception identitaire et patrimoniale de l’art.
Une des questions que nous voyons à l’oeuvre dans « Maîtres anciens » serait la suivante : comment transmettre un héritage en se dégageant du chemin de la tradition ? Comment utiliser librement ce que le passé nous a légué ? L’héritage, en matière d’art et de culture, ne serait donc pas la transmission du bon goût imposé mais au contraire, celui qui n’impose pas à l’autre ce qu’il faut penser. Pour le dire autrement : comment appréhender le passé comme une force et non comme un fardeau, fruit d’un héritage figé et statufié. Comme dit Faulkner : « Le passé n’est jamais mort il n’est même pas passé ».
Ces questions rejoignent pour moi, le geste même de l’interprétation. Lorsque je joue des oeuvres du passé, c’est toujours avec le désir de jouer contre une vision patrimoniale ou muséale d’une pièce. Lorsqu’on interprète un « maître ancien » comme Molière, on se pose forcément la question de la transmission d’un savoir, d’une écriture. Cette transmission on désire qu’elle ne passe pas par le classico-centrisme dans lequel l’histoire littéraire a enfermé Molière et qui identifie la littérature de la deuxième moitié du 17e siècle à la monarchie de Louis XVI. Molière n’a rien d’un auteur « classique », encore moins d’un auteur national et surtout pas d’un auteur typiquement français. Son écriture est le résultat d’une délirante hybridation de formes, de langues, de jargons et d’italianismes provenant, en partie, de la tradition orale et des canevas de la Commedia dell’arte.
On joue donc à la fois, avec et contre les « maitres anciens », dans un mouvement de construction et de destruction. Sur ce point je rejoins le geste de Thomas Bernhard dans son roman.

La langue de Bernhard est déjà très orale, dans un flot, et on se dit qu’elle se prête naturellement au théâtre. Mais est-ce que ce n’est pas aussi un piège ?

L’oralité pose la question de l’adresse. J’ai toujours été plus attiré par les romans de Bernhard que par son théâtre, même s’il y a des pièces que j’aime beaucoup. Il y a dans ses romans une adresse au lecteur très puissante. Cette prise à partie du lecteur, je la vois d’abord comme la promesse d’une expérience que Bernhard nous invite à partager avec lui. On sait, bien sûr, que cette expérience va nous secouer, Bernhard se voit lui-même comme « un poseur de pièges », « un perturbateur universel ». Mais c’est dans ce mouvement généreux de l’adresse qui vient contrarier le pessimisme de certains de ses propos que je ressens toute l’énergie vitale de l’écriture de Bernhard. L’oralité chez lui, est le résultat d’une construction romanesque très savante. Ce qu’il met en scène dans son écriture c’est une pluralité de voix. À l’intérieur d’un seul personnage il y a déjà plusieurs registres de paroles au sein desquels différentes temporalités se superposent. On peut dire de Bernhard qu’il est un satiriste et un génial imprécateur mais c’est surtout un grand poète. Par des enchainements soudains, sans aucune transition psychologique, il crée des paysages de pensées. Dans Maitres anciens, il y a un narrateur, Atzbacher qui nous rapporte les paroles du protagoniste principal, le vieux Reger, critique musical de son état qui vient s’asseoir tous les deux jours au Musée d’art ancien à Vienne devant un tableau du Tintoret : « L’homme à la barbe blanche ». Il y a un troisième personnage, Irsigler, le gardien du musée qui ne parle jamais mais qui est présent dans le discours des deux autres. Le texte lui-même propose du jeu. Chaque personnage fictionne sur l’autre. Comme je serai seul sur scène pour dire le texte je chercherai, à mon tour, comment engager un dialogue avec ces trois personnages, comment entrer dans leurs fictions. Comment me mettre dans leurs pas.
 

C’est une langue connue pour son registre d’invective. Comment est-ce qu’on fait varier ce ton, comment est-ce qu’on introduit des nuances ?

Dans l’invective il y a déjà des variations, des temps forts et des temps faibles. L’écriture chez Bernhard est très musicale. Parfois c’est même le rythme de la phrase qui transmet le message le plus important. L’invective produit un discours circulaire, obsessionnel, insatiable, caricatural et parfois franchement comique. Les phrases s’irritent les unes les autres. Mais l’écriture de Bernhard est d’une grande amplitude et on ne peut pas la réduire à la seule forme de l’invective. Il y a, par exemple, un motif récurrent dans ses textes qui est cette tension continue entre deux énoncés contraires. Reger le personnage central du roman clame sa haine des artistes et de la famille et en même temps l’impossibilité de vivre sans eux. Ces contradictions sont permanentes chez Bernhard, portées à incandescence. Comme s’il cherchait toujours la limite, comme s’il voulait faire sortir la pensée de ses gonds, la pousser hors de la phrase, hors du livre, l’obligeant à penser plus qu’elle ne peut penser comme si la pensée cherchait toujours un peu plus d’air. Parler en disant ce « plus », ce « surplus » qui précède et suit chaque parole, comme une forme de dépense improductive. Le souffle, le poumon, l’air, l’étouffement sont des éléments essentiels du langage de Bernhard. Ses personnages sont prisonniers de leur nom, de leur conscience, de leur naissance, de leur pays, de leur identité mais ils sont toujours en quête, toujours en chemin.

Comment avez-vous travaillé pour adapter ce texte, qui est très long ? Qu’est-ce qui vous semblait essentiel de conserver ?

À la première lecture, ce qu’on entend, c’est une démolition en règle des « maîtres anciens » : Beethoven, Stifter, Heidegger, Klimt ou Veronese… Même si la plupart de ses artistes restent circonscrits à l’Allemagne et à l’Autriche il s’agit d’une partie de notre patrimoine culturel européen. Il y a dans cette démolition des morceaux de choix : les pages consacrées à Heidegger qui sont carrément burlesques mais aussi d’autres passages sur la famille d’Irsigler ou la saleté des toilettes viennoises que nous garderons sans doute. Avec Éric Didry et Véronique Timsit, nous nous disions qu’aujourd’hui nous ne pouvions pas lire ce texte de la même façon que nous l’avions lu dans les années 80. À l’époque le second degré et la distance comique de certains passages nous semblaient évident. Le texte est d’ailleurs clairement sous-titré « comédie ». Aujourd’hui, malheureusement, on est forcé de se demander si certaines charges de Bernhard contre l’art ne pourraient pas être prises pour argent comptant et venir nourrir un discours populiste. C’est pourquoi j’insiste, dans la construction et l’adaptation du spectacle sur l’idée de l’héritage et de sa transmission. «Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » écrit René Char en parlant de son expérience dans la résistance pendant l’occupation allemande. Comme le dit Hannah Arendt dans sa préface à « La crise de la culture », à propos de cet aphorisme de Char, « un héritage sans testament » est un héritage avec lequel on est libre d’agir, libre de penser, un héritage dans lequel le passé ne nous assigne pas à un avenir tout tracé. Je pense que le geste de Bernhard va dans ce sens-là. Sa plus forte charge critique se concentre sur l’état catholique autrichien et sur la façon dont il instrumentalise le discours sur l’art pour écrire son « roman national ». Mais il y a aussi chez Bernhard beaucoup de provocation, beaucoup d’ambiguïté et il est le premier à ne pas vouloir se laisser enfermer dans un discours.
Une phrase de l’artiste Robert Filliou s’applique bien, je crois, à « Maitres anciens » : « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».

Le thème du deuil apparaît aussi progressivement.

C’est peut-être le thème principal du roman. On apprend brièvement au début que Reger vient de perdre sa femme et cet événement va prendre de plus en plus d’importance. Ce sont comme des pages arrachées d’un journal de deuil qui viennent s’insérer dans le roman. Cet état de deuil chez Reger vient se superposer à son discours sur l’art. Lorsque Bernhard écrit « Maîtres anciens », il vient lui-même de perdre sa compagne Hedwig Stavianicek, de trente-cinq ans son aînée : « l’être humain de (sa) vie » à laquelle il devait « plus ou moins tout ». Dans un entretien très émouvant en 1987, il décrit la catastrophe de cette disparition : « une fois par jour on se réjouit d’être vivant, de ne pas encore être mort, c’est un capital inouï ». À travers cette disparition mais aussi à travers les différents récits des personnages sur leur propre famille, c’est d’un autre héritage dont il est question ici. Ce qu’il faut comprendre à présent, c’est que ces « maîtres anciens » ne sont pas seulement les grands artistes du passé mais aussi ceux de notre propre descendance. À la question de notre héritage culturel vient s’ajouter celle de notre héritage familial.

Un autre thème très présent dans le roman est celui de l’enfance, de l’école, des origines. Comment l’avez-vous abordé ?

L’exploration de sa propre origine est un thème central chez Bernhard. On la retrouve dans tous ses livres, malgré la peur, dit Reger dans Maîtres anciens, de « déterrer peut-être avec le temps encore plus d’épouvantables terreurs ». Dans
« La cave » son deuxième roman autobiographique, Bernhard raconte un moment décisif de son existence. À quinze ans sur le chemin du collège, il décide brusquement de changer de direction pour aller dans le « sens opposé » et devenir apprenti dans un magasin d’alimentation, situé dans une cave d’une banlieue surnommée « l’enfer ». Prenant acte, au sortir de la guerre, du lien qui unit l’État national-socialiste à l’État catholique qui lui succède, Bernhard décide de tourner le dos à l’enseignement que l’état autrichien réserve à sa jeunesse. « Il faudrait sortir de tout, non pas fermer la porte derrière soi, mais la claquer d’un coup et partir » dit-il dans « Trois jours ».
Il choisit donc « la cave » et de vivre un temps parmi les gens les plus marginalisés. On a souvent qualifié Bernhard de misanthrope, retiré dans sa ferme à la campagne, et pourtant dans toute son oeuvre chaque personnage ne se connaît lui-même que par rapport aux autres « sinon on n’existerait pas du tout et on ne pourrait pas se regarder » explique t-il dans un entretien.

Même si rien n’est fixé à ce stade du travail, pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en jeu du texte ?

En réfléchissant au geste d’écriture de Bernhard, je pensais au mouvement Dada, au mouvement Lettriste et j’avais aussi en tête le ricanement du chanteur Johnny Rotten au début du morceau « Anarchy in the UK » des Sex Pistols. Des mouvements, des groupes qui comme Bernhard, ont une certaine appétence pour le scandale, qui se définissent par un geste de rupture. Nous verrons avec Éric Didry, Véronique Timsit et toute l’équipe si ces références peuvent alimenter quelques-unes de nos recherches. L’écriture de Bernhard est aussi, comme je l’ai dit, très joueuse. Je crois qu’à partir de sa pièce Minetti écrite en 1976 qui met en scène un vieil acteur dans le hall d’un hôtel attendant un rendez-vous qui ne viendra jamais avec un directeur de théâtre, je crois qu’à partir de là, la figure de l’acteur devient très importante pour Bernhard. Car l’acteur est celui qui peut incarner toutes les figures de l’humanité ordinaire. Comme bon nombre d’autres personnages de ses romans, Reger le critique musical de Maitres anciens est avant tout un acteur, un bouffon. On sait aussi que Bernhard voue un grand amour au cirque. Dans son premier roman, Gel, il y a un personnage extraordinaire que le narrateur rencontre dans la forêt. On ne sait pas s’il est acteur, bateleur, vagabond ou saltimbanque mais il passe son temps à faire des tours, à jouer des tours. Comme Bernhard lui-même. L’art de l’acteur consiste par principe à être un autre, plusieurs autres, à affronter en permanence la prise en charge de l’homme par lui-même. Claude Porcell, traducteur de Minetti écrit très justement dans sa postface à la pièce: « Non content de vivre l’illusion permanente et ordinaire qu’est la réalité, le comédien se charge d’illusions supplémentaires. Il fait des illusions que sont ses personnages une réalité et nous montre que nos seules réalités sont en fin de compte ces illusions qui ont nom Hamlet, Lear, Krapp et les autres… ». Cette dernière phrase décrit très bien la raison d’être de tous les grands imprécateurs qui peuplent les romans de Bernhard. Cette évocation poétique de la figure de l’acteur rejoint pour nous un fil important de notre travail depuis notre première création : La loi du marcheur en 2010.

Vous évoquez aussi, à partir d’un texte de Hannah Arendt, une résonnance avec le contexte politique, l’idée de crise et le désir de faire rupture.

L’écriture de Bernhard a toujours à voir avec la crise, l’état de crise. Cet état de crise je le ressens chez lui à travers son utilisation du temps présent. Il arrive par son style à une dilatation de l’instant présent, à un présent augmenté, densifié. Le roman se passe en deux heures et nous avons pourtant la sensation, à la fin, d’avoir vécu une immense traversée comme si le temps s’était démesurément étiré. Dans ce présent, différentes temporalités interviennent. Mais même lorsque nous sommes dans une évocation du passé à travers le récit d’un des personnages, le retour au présent agit toujours comme un événement, une surprise. Un « ici et maintenant » qui nous fait sursauter. Le temps présent chez Bernhard nous requiert, exige toute notre attention. Il fait le bruit d’une porte qu’on claque car il est toujours le temps d’une crise. D’une rupture. Je continue mon analogie avec le texte d’Hannah Arendt tiré de « La crise de la culture » et de sa réflexion sur l’aphorisme de Char. Considérant quelques moments « révolutionnaires »
de notre histoire — la Résistance, les révolutions françaises et américaines, la Commune — Arendt y voit le surgissement d’événements qui n’étaient pas prévus, que le passé n’avait pas prévu et qui sont comme des énigmes posées à notre avenir. Le fil de la tradition qui nous reliait au passé et guidait notre futur, s’est rompu et rien ne nous dit maintenant comment transmettre de tels évènements. Ces évènements créent une rupture, une brèche dans le présent, une brèche entre le passé et le futur. Cette brèche est un intervalle dans le temps « entièrement déterminé par des choses qui ne sont plus et par des choses qui ne sont pas encore ». Cet étrange entre-deux qui s’insère dans le temps historique, Arendt en fait l’image même de la pensée ; cette brèche est le chemin frayé par la pensée. Comment alors se saisir de ce moment, profiter de cette brèche et s’y mouvoir pour penser librement, sans renouer avec le fil rompu de la tradition. Cette brèche dans le présent je la retrouve dans le geste d’écriture de Bernhard. Comment penser notre présent de façon intempestive contre les règles rigides et contre les convictions générales. Thomas Bernhard nous donne de la joie parce qu’il nous libère. C’est un grand destructeur mais comme tous les grands destructeurs il est aussi un grand constructeur. Il fait droit à la protestation contre un enfermement et une souffrance radicalement inutiles.

 

propos recueillis par Barbara Turquier
(avril 2017)
 

Maîtres Anciens Presse

C’est un spectacle sur l’écoute, le fil fragile et privilégié qui se tisse entre l’acteur et le spectateur, sur la transmission d’une oeuvre, libérée des discours et des préjugés culturels.
Enthousiasmant.
Sophie JOUBERT, L'HUMANITÉ

 

Un corps-à-corps jouissif et joyeux, entre l’art et la vie;

Fabienne DARGE, LE MONDE

 

À l’opposé des mises en scène quasi-naturalistes de Krystian Lupa, un des plus grands passeurs actuels de Thomas Bernhard à être régulièrement invités sur nos scènes, ces Maîtres anciens brillent par leur dépouillement. Deux pans de murs accolés – dessus, une trace rectangulaire et une bâche en papier évoquent un espace d’art abandonné – un tourne-disque et une caisse suffisent à Nicolas Bouchaud pour habiter pleinement l’espace. Tout en ruptures et en répétitions, le génial monologue qui égratigne tout un pan du patrimoine culturel européen – Beethoven, par exemple, est décrit en « artiste crispé, monotone, doublé d’un être brutal », Greco en peintre dont les mains « ont toujours l’air de lavettes sales et mouillées » et Heidegger en « épisode repoussant de la philosophie allemande – se fait ainsi invitation à habiter et à penser le présent. À s’emparer de beautés comme de ses violences. Librement.

Anaïs HELUIN – SCENEWEB

 

Bouchaud fait du « flow » de Reger un chant lancinant - parfois presque slamé -, transforme ce trop-plein de colère et de mots, en un grand geste clownesque existentiel. La mise en scène, faite de mini-performances explosives en contrepoint, donne une dimension fantasque « arty » au spectacle. Thomas Bernhard réincarné en un violent arc-en-ciel de révoltes et de désespoirs : rarement l'auteur dramatique nous avait paru si vivant, si proche.

Philippe CHEVILLEY, LES ECHOS

Maîtres Anciens Générique

un projet de et avec Nicolas Bouchaud
mise en scène Éric Didry
traduction française Gilberte Lambrichs, publiée aux Editions Gallimard
adaptation Véronique Timsit, Nicolas Bouchaud, Éric Didry
collaboration artistique Véronique Timsit scénographie Élise Capdenat, Pia de Compiègne
lumière Philippe Berthomé son Manuel Coursin
régie générale Ronan Cahoreau-Gallier production Nicolas Roux
production déléguée Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
coproduction Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Bastille, Compagnie Italienne avec Orchestre Bonlieu – Scène Nationale, Espace Malraux de Chambéry – Scène Nationale
avec le soutien de La Villette (Paris) ; du Nouveau Théâtre de Montreuil, CDN.
L’Arche est agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com
création le 7 novembre 2017 au Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire

Trilogie Daney / Celan / BernhardPortrait

Nicolas Bouchaud

Comédien depuis 1991, il travaille d’abord sous les directions d’Étienne Pommeret, Philippe Honoré... puis rencontre Didier-Georges Gabily qui l’engage pour les représentations de Des cercueils de zinc. Suivent Enfonçures, Gibiers du temps, Dom Juan / Chimères et autres bestioles. Il joue également avec Yann Joël Collin dans Homme pour homme et L’Enfant d’éléphant de Bertolt Brecht, Henri IV (1e et 2e parties) de Shakespeare ; Claudine Hunault : Trois nôs Irlandais de W.B. Yeats ; Hubert Colas : Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht ; Bernard Sobel : L’Otage de Paul Claudel ; Rodrigo Garcia : Roi Lear, Borges + Goya ; Théâtre Dromesko : l’Utopie fatigue les escargots ; Christophe Perton : le Belvédère d’Odön von Horvàth... Jean-François Sivadier l’a dirigé dans : L’impromptu, Noli me tangere, La Folle journée ou Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, Italienne scène et orchestre, La Mort de Danton de Georg Büchner, Le Roi Lear de Shakespeare (Avignon Cour d’honneur), La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau créée au TNB en 2009, Noli me tangere de Jean-François Sivadier, création au TNB en 2011 et en 2013, Le Misanthrope (Prix du Syndicat de la Critique). En 2012, il joue dans Projet Luciole, mise en scène de Nicolas Truong au Festival d’Avignon dans le cadre de « sujet à vif ».
Il joue et co-met en scène Partage de Midi de Paul Claudel, en compagnie de Gaël Baron, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, Charlotte Clamens à la Carrière Boulbon pour le Festival d’Avignon en 2008. Il joue en 2011 au Festival d’Avignon, Mademoiselle Julie de Strindberg mise en scène Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche, spectacle filmé par Nicolas Klotz. Il adapte et joue La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) mise en scène d’Eric Didry en 2010 au Théâtre du Rond Point et en tournée ; il met en scène Deux Labiche de moins pour le Festival d’Automne en octobre 2012. Au cinéma, il a tourné pour Jacques Rivette Ne touchez pas à la hache, pour Edouard Niermans : La Marquise des ombres, Pierre Salvadori : Dans la cour, Jean Denizot : La Belle vie... En 2103, dans une mise en scène d’Eric Didry il joue dans Un métier idéal (Festival d’Automne – Théâtre du Rond–Point). 2014/2015, il reprend La vie de Galilée dans la mise en scène de Jean-François Sivadier. Au cinéma, dans Les Nuits d’été de Mario Fanfani en 2015.
Il est depuis 2015 artiste associé au Théâtre national de Strasbourg dirigé par Stanislas Nordey. En 2017, il adapte Maîtres anciens (comédie) de Thomas Bernhard, mis en scène par Éric Didry

Trilogie Daney / Celan / BernhardPortrait

Éric Didry

Il se forme auprès de Claude Régy, comme assistant à la mise en scène et comme lecteur pour les Ateliers Contemporains. Il travaille également comme collaborateur artistique de Pascal Rambert.
À partir de 1993, il devient créateur de ses propres spectacles : Boltanski / Interview (1993) d’après « Le bon plaisir de Christian Boltanski par Jean Daive », Récits / Reconstitutions, spectacle de récits d’expériences personnelles (1998), Non ora, non qui d’Erri de Luca (2002), Compositions, nouveau spectacle de récits (2009).
En 2010, il met en scène La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) avec Nicolas Bouchaud. Il créé en 2012 Qui-Vive, spectacle conçu avec le magicien Thierry Collet. En 2013, toujours avec Nicolas Bouchaud, il met en scène Un métier idéal adapté du livre de John Berger. En octobre 2015, à nouveau avec Nicolas Bouchaud, il créé Le Méridien d’après Paul Celan. En janvier 2017, il met en scène Dans la peau d’un magicien, spectacle conçu avec Thierry Collet.
En novembre 2017, il met en scène Maîtres anciens (comédie) de Thomas Bernhard.
Il collabore avec d’autres artistes comme les chorégraphes Sylvain Prunenec et Loïc Touzé, le créateur son Manuel Coursin.
La pédagogie tient une place importante dans son activité. Il intervient régulièrement à l’École du Théâtre National de Bretagne dont il est membre du conseil pédagogique. Depuis de nombreuses années, il anime régulièrement en France et à l’étranger, des ateliers de récits où il réunit acteurs et danseurs.

Trilogie Daney / Celan / BernhardPortrait

Véronique Timsit

Elle est assistante à la mise en scène depuis 1991 pour des spectacles de : Philippe Honoré, les Imparfaits d’après André Gide et Marcel Proust (1991) ; Luc Bondy, l’Heure où nous ne savions rien… de Peter Handke (à la Schaubühne de Berlin, 1993) ; Klaus-Michael Grüber, Splendid’s de Jean Genet également à la Schaubühne, (1994) ; Didier-Georges Gabily, Gibiers du temps I et II (1994-1995) ; Claudine Hunault, Trois nôs irlandais de William Butler Yeats ; Serge Tranvouez, Recouvrance (1995-1996) ; K.-M. Grüber, le Pôle de Vladimir Nabokov (1996-1997) ; Jean Bouchaud, Amants et vieux ménages d’Octave Mirbeau (Comédie Française, 1999).
Elle a adapté et mis en scène le Livre des bêtes d’après Raymond Lulle (Lavoir Moderne, 1992), ainsi que Zoo d’après Viktor Chklovski (festival Théâtre en mai, Dijon, puis festival Turbulences de Strasbourg, 1996)…
Collaboratrice artistique de Jean-François Sivadier, elle l’assiste pour toutes ses mises en scène de théâtre et d’opéra depuis 1998 : Noli me tangere, la Folle journée ou le Mariage de Figaro, la Vie de Galilée, Italienne Scène et Orchestre (dans lequel elle est également comédienne), La Mort de Danton, Le Roi Lear, La Dame de chez Maxim, Noli me Tangere, Le Misanthrope, Don Juan et, à l’opéra : Madame Butterfly de Puccini (2004), Wozzeck d’Alban Berg (2007), Les Noces de Figaro de W.A. Mozart (2008), Carmen de Georges Bizet (2010), La Traviata de Verdi (festival d’Aix 2011), Le couronnement de Poppée de Monteverdi (2012), Le barbier de Séville (2013), et Don Giovanni pour le festival d’Aix-en-Provence 2017.
Collaboratrice artistique de Nicolas Bouchaud sur La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) en 2010, Un métier idéal d’après John Berger en 2013 et sur Le Méridien d’après Paul Celan en 2015, et Maîtres anciens (une comédie) d’après Thomas Bernhard.

Elle collabore également à la création du spectacle El Baile auprès de Mathilde Monnier et Alan Pauls (création au Quai, Angers, en juin 2017).