
Non-Lieu
Olivier Coulon-Jablonka Sima Khatami
Spectacle coréalisé avec le Théâtre Sorano [+]
Olivier Coulon-Jablonka, metteur en scène, et Sima Khatami, cinéaste, donnent à voir une histoire jamais représentée : celle de la mort de Rémi Fraisse, tué le 26 octobre 2014 par une grenade, lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. Une enquête sur l’enquête menée par sept comédien·nes.
Il aura fallu plus de dix ans pour que L’État français soit condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour « violation du droit à la vie ». Pour autant, cette affaire s'était conclue par un non-lieu en 2017, décision confirmée par la Cour de cassation et aucun procès n'a jamais permis de confronter la version des gendarmes et de la hiérarchie militaire avec celles des manifestants. Cette absence de représentation est le point de départ de ce spectacle (de plus de dix mille pages). En empruntant au cinéma sa méthodologie documentaire, Non-Lieu est né de l'urgence : « donner à entendre cette histoire qui a été passée sous silence » et (re)faire du théâtre le lieu d’un questionnement démocratique.
Tout public à partir de 15 ans
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Note d'intention
Entretien avec Olivier Coulon-Jablonka et Sima Khatami
D’où vient votre intérêt pour le travail de la justice et plus singulièrement le cas de la mort de Rémi Fraisse ?
Olivier Coulon-Jablonka : Nous voulions travailler sur le mouvement des gilets jaunes et les suites judiciaires données aux affaires des mutilés, qui ont en partage une même dramaturgie. Mais le secret de l’instruction nous empêchait de privilégier la méthode documentaire qui caractérise notre travail. Ces questions nous ont occupés à un moment où les théâtres étaient fermés, durant la pandémie, et nous avons commencé à suivre des procès. On ne pouvait pas aller au théâtre, mais on pouvait aller au tribunal. Nous avions envie de travailler sur la justice.
Sima Khatami : À cette même période, la Cour de cassation a rendu un non-lieu définitif dans l’affaire de la mort de Rémi Fraisse. Tous les avocats que nous rencontrions alors nous parlaient de ce dossier. Nous avons découvert ces 10 000 pages, qui sont effectivement incroyables. Le théâtre arrivait après le travail de la justice et un autre espace était imaginable.
Comment vous emparez-vous du terme « non-lieu » ?
SK : Juridiquement, c’est quand il n’y a pas assez d’éléments dans un dossier d’instruction pour poursuivre quelqu’un. La procédure est alors abandonnée, ce qui veut dire que les différentes versions présentes dans le dossier ne seront jamais confrontées.
OCJ : Nous voulons travailler, en creux, sur la raison pour laquelle il n’y a pas eu de procès, faire l’autopsie d’un non-lieu. Notre travail n’est pas de trancher entre les versions qui n'ont pas pu s'exprimer, mais de les mettre en jeu publiquement. Pour cela, nous plongeons dans l’argumentaire du commandement hiérarchique et examinons non seulement les textes de loi qui sont convoqués, mais aussi les jeux rhétoriques utilisés, de façon à faire apparaître des schémas communs à d’autres affaires.
Comment avez-vous utilisé ce matériau brut pour écrire le spectacle ?
SK : Nous avons dû apprendre à nous orienter dans les 10 000 pages du dossier. Il a fallu comprendre sa rythmicité et sa structure générale. Puis nous avons sculpté le matériau comme on taille un bloc de marbre. Nous sommes passés à 2 000 puis 400 et enfin environ 90 pages. Pour arriver à une structure en deux parties : un segment qui va de l’instant de la mort de Rémi Fraisse, à la fin de la procédure, puis une partie où les gens sont convoqués dans une agora. Il n’y a pas eu de procès, mais nous fabriquons un tribunal fictif. Nous n’inventons pas les arguments, mais tissons à l’intérieur.
OCJ : Notre geste d’écriture est là, dans un certain effacement mais un grand souci d’exactitude et de précision. Nous voulions rester fidèles à la langue juridique tout en la rendant acceptable pour un plateau de théâtre. Quand nous écrivons, nous sommes un peu comme des enquêteurs. De la juxtaposition des différentes versions naît déjà de la fiction dans le dossier, il s'agit d'en révéler la logique.
Comment accueillez-vous ces germes de fiction dans votre travail ?
SK : Par le montage, qui fabrique du sens. C’est la logique du cinéma, où l’on fabrique du sens à partir d’un matériau. Ces archives dissimulent une forme de fiction. Il s'agit de démonter et de remonter le temps pour montrer la construction à l'œuvre dans le dossier. Certains pans de l’enquête durent des années et certains procès-verbaux ont pris dix heures, mais ne noircissent que quinze pages. Tout n’est donc pas retranscrit. Il nous faut travailler à l'intérieur de ces interstices. Et il y a aussi beaucoup de répétitions.
OCJ : Si on enlève ces répétitions, quelque chose se passe. Ces effets de masse masquent l’endroit de la contradiction. Il y a un effet de dilution des informations dans le dossier. Si nous avons tenu à respecter une certaine rythmicité de la procédure, nous cherchons aussi à les dévoiler.
Quel est ici pour vous le rôle du théâtre ?
SK : Nous aimerions qu'au théâtre cette histoire puisse être entendue, qu'elle soit enfin représentée. En tant qu'iranienne, je suis arrivée en France avec une grande foi dans la démocratie, mais force est de constater qu'après six ans de procédure, le résultat, c'est le recouvrement de cette affaire par d'autres moyens. Il ne s'agit pas d'apporter la vérité, mais de poser le problème de la vérité.
OCJ : Le théâtre vient ouvrir un espace démocratique, qui à mon sens est en train de se refermer. On peut y donner à entendre des voix qui ont été étouffées. Mais la démocratie, ça n'est pas le consensus. Notre travail n’est pas de faire en sorte que tout le monde – dans le public – tombe d’accord, mais plutôt d’acter et mettre en scène des visions et des idéologies différentes pour les faire dialoguer. En ce sens, le théâtre occupe une fonction politique. Mais il le fait avec ses moyens propres, qui sont ceux de l'esthétique. En accueillant des matériaux qui étaient exclus de son champ – comme des textes juridiques – pour les partager avec le public, pendant le temps de la représentation, il bouscule un peu les places qui étaient attribuées. Car en définitive, ce que la pièce fait apparaître, c'est que si nous voulons que les choses changent, il faut changer les lois.
Quel équilibre trouvez-vous entre narration et incarnation ?
SK : Sept comédiennes et comédiens incarnent une trentaine de personnes et cela aide à trouver une distance nécessaire. Par ailleurs, la nature juridique et argumentée du texte nécessite de ne pas être trop dans le jeu, pour bien comprendre les articulations du raisonnement. S’il y a trop de réalisme, si les comédiennes et les comédiens sont dans l’incarnation de l’idée que l’on se fait d’un gendarme ou d’un procureur, on ne les entend plus parce que la posture prend le dessus. Le jeu doit être distancié.
OCJ : Le théâtre joue avec la puissance du faux, l’idée du masque. Et là, dans cette histoire, il y a des masques. Tout le monde ne dit pas la vérité, puisqu'il y a des versions contradictoires. En définitive, que ce soit dans une œuvre de fiction ou de documentaire, la grande affaire du théâtre reste la recherche d'une vérité. C'est ce que nous essayons de faire à notre manière, en essayant de mettre un peu d'ordre dans le chaos du réel.
Propos recueillis par Vincent Théval, avril 2024 pour le Festival d’Automne à Paris
Générique
Spectacle coréalisé avec le Théâtre Sorano, dans le cadre de Supernova
écrit et créé par Olivier Coulon-Jablonka et Sima Khatami
avec Farid Bouzenad, Valentine Carette, Arthur Colzy, Milena Csergo, Eric Herson-Macarel, Julien Lopez, Charles Zevaco
metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka
cinéaste / plasticienne Sima Khatami
création Lumière Yannick Fouassier
création sonore Samuel Mazzotti
costumière Delphine Brouard assistée de Sibel Agogué
régie plateau Alex Gicquel
régie générale Leandre Garcia Lamolla
Conseiller juridique Raphaël Kempf - avocat
création le 14 octobre 2025 La Commune, CDN d’Aubervilliers Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
production Compagnie Moukden-Théâtre Le Moukden-Théâtre est une compagnie conventionnée par la DRAC Île-de-France et par la région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle,
coproduction La Commune, CDN d’Aubervilliers Festival d’Automne à Paris Théâtre la Vignette, scène conventionnée, Université Paul Valéry, Montpellier / GIE FONDOC Théâtre Garonne, scène européenne - Toulouse Le Parvis, scène nationale Tarbes - Pyrénées
avec le soutien de l’Echangeur, cie Public Chéri, le théâtre de La Fonderie, la Générale Nord-Est, Les Laboratoires d’Aubervilliers, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National, du FONDOC – Fonds de soutien pour la création contemporaine en Occitanie.
Artistes

Olivier Coulon-Jablonka
Olivier Coulon-Jablonka est né en 1979. Il est metteur en scène. Il dirige le Moukden-Théâtre. Il a fait des études de philosophie à la Sorbonne et s’est formé au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (2002-2005).

Sima Khatami
Sima Khatami est une cinéaste et artiste pluridisciplinaire née en Iran, aujourd’hui basée à Paris. Après une formation en art dramatique au Théâtre de la Ville, elle étudie aux Beaux-Arts de Téhéran (1995-2000), puis à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (2002-2005). Son travail explore les croisements entre cinéma, performance, théâtre et les arts visuels au sens large, entre dessin, peinture et installation. .
Tournée
Du 14 au 19 octobre 2025 : La Commune, CDN d’Aubervilliers, dans le cadre du festival d’Automne à Paris
Du 19 au 22 novembre 2025 : Théâtre Garonne, scène européenne - Toulouse
Le 25 novembre 2025 : Le Parvis, scène nationale Tarbes - Pyrénées
Du 28 au 29 novembre 2025 : Théâtre La Joliette - Marseille
Du 02 au 04 décembre 2025 : Théâtre La Vignette, scène conventionnée, Université Paul-Valéry, Montpellier