Daniele De Michele

Daniele de Michele © Tamara Casula

Économiste de formation, Daniele est devenu anthropologue de la cuisine de par son travail d’enquête au long court sur grands-mères italiennes détentrices de recettes traditionelles. Il est réalisateur d'un film et l'auteur de nombreux livres sur le sujet. Il est également performeur et côtoie la scène régulièrement comme cuisinier et DJ. Considéré par le New York Times comme « un des (et sous certains aspects le seul) activistes les plus inventifs dans le domaine de la nourriture ». Son premier film I Villani, coproduit par Rai Cinéma et financé par le Mibac a été présenté aux Journées des Auteurs de la Mostra de Venise et a été diffusé après une longue tournée nationale et internationale en première exclusivité sur Rai3 en tant qu’épisode spécial de Geo. Il collabore avec Geo And Geo (RAI3), La Effe, Fahrenheith (Radio3). En 2014 il a publié Artusi Remix (Mondadori), le fruit d’un travail avec le Comité Scientifique de Casartusi. Il a réalisé pour Treccani et le Corriere della Sera la série web-tv Le nonne d’Italia in cucina, un voyage dans les vingt régions italiennes à la rencontre des grands-mères en cuisine. Son premier projet, Food sound system est devenu un livre, publié chez Kowalski, et un spectacle multimédia, en tournée mondiale depuis maintenant dix ans. Il publie en février 2013 La Parmigiana e la Rivoluzione. Il écrit de façon régulière pour la Repubblica, le Corriere della Sera et Left.

Spectacle associé

Entretien

Cònsolo, en Italie, est le repas offert aux familles endeuillées. Pourquoi avoir choisi ce titre ?

En tant qu'artiste (et économiste), je travaille depuis vingt ans sur la dimension culturelle et sociale de la cuisine populaire. J'ai grandi dans une petite ville du sud de l'Italie, où la dimension rituelle et collective était fondamentale.
Je me suis interrogé sur l'importance de l'alimentation actuel et sur l'impact de la modernité sur les comportements alimentaires. Le cònsolo est une pratique qui a trait à deux choses essentielles dans l'existence humaine : la nourriture et la mort. Le cònsolo n'est pas un allègement de la charge un jour où l'on a trop à penser et à souffrir. C'est un allègement de l'esprit, un réconfort de l'âme de savoir que quelqu'un pense à vous.
La lente disparition du cònsolo est une métaphore d'un monde qui évolue mais qui perd les pratiques collectives et communautaires. C'est un monde involutif celui qui ne nourrit pas la douleur.
Un monde de repli.

Vous faites de la scène un espace où se côtoient la nourriture, la vidéo, la musique, le son… En quelque sorte vous concoctez votre propre recette. Quelle(s) nécessité(s) avez-vous de porter ces sujets au plateau ? Comment liez-vous le tout ?

La recherche anthropologique que je mène depuis vingt ans sur la cuisine populaire m'a fait trouver un fil conducteur. Cette quête a permis à toutes mes passions de trouver un langage commun. Après mes études d'économie politique, j'ai écrit six livres, réalisé quatre films documentaires et parcouru le monde avec mes performances où je cuisinais et passais des vinyles. Chacune de ces choses a été développée séparément.
Il m'a fallu vingt ans pour trouver le désir de réunir des codes très différents, et seul le théâtre est apparu comme capable de rechercher l'union des langages. Sur scène, il y aura donc un écran, une cuisine, des platines DJ, et moi, avec un texte aux dimensions à la fois intime et sociale.
Je pars de mon expérience personnelle pour expliquer la nécessité d’une recherche anthropologique qui m'a fait poser milles questions sur l'économie, l'environnement et, plus largement, sur la condition de l'existence humaine.

Quel est le nom du plat que vous cuisinez en direct ? Pourquoi ce choix ?

Pendant le spectacle, je prépare des pâtes faites à la main et une sauce qui changera en fonction du lieu et des ingrédients — en respectant le fait qu'il s'agit de produits de qualité et de saison. Faire des pâtes à la main est lié à la notion du temps. La nécessité de prendre le temps qu'il faut pour faire les choses en cuisine. Le geste du pétrissage est universel, ancestral, reconnaissable par tous et toutes, et pourtant souvent peu pratiqué. Le faire, le sacraliser, réveille des souvenirs au sein du public. La sauce qui accompagne les pâtes se veut pauvre et parcimonieuse, comme chaque plat de la cuisine populaire. J’utiliserai donc un ou deux ingrédients locaux, en respectant la filière courte, la saisonnalité, tout en s'approvisionnant auprès de producteurs locaux.

La notion de partage semble inhérente à la cuisine, cherchez-vous à l’étendre à l’art de la scène ?

La médiatisation de la nourriture a conduit les gens à se convaincre que l'acte de cuisiner est un acte purement technique, dans lequel ils montrent leurs compétences dans la préparation d'un plat donné. J'ai toujours vécu la cuisine comme un acte collectif, où l'on cuisine pour plusieurs, pour célébrer, pour partager des moments rituels, comme les naissances et les décès. La ré-appropriation de la nourriture en tant qu’acte social est à l'origine de cette performance.

Quelle est l’origine et la nature de votre collaboration avec Julien Cassier du GdRa ?

Dans mon travail, j’essaie toujours de combiner les dimensions artistiques et académiques. Pendant longtemps, ma formation d'économiste politique a beaucoup conditionné mes oeuvres. La recherche sur la cuisine populaire m'a conduit à changer de posture, en utilisant un regard d'anthropologue. Lorsque j'ai décidé de mettre cette recherche au plateau, j'ai tout de suite pensé à Julien Cassier et à ses spectacles avec le GdRa. Je me souviens avec beaucoup d'étonnement l'histoire de Nour, les témoignages de Singularité ordinaires. Leur façon de transposer la recherche anthropologique à la scène est très inspirante pour moi.

Si vous deviez imaginer le repas idéal, comment le décrieriez-vous ? ( le plat, le contexte, l’ambiance, la musique, sujet(s) de discussion ou non, le nombre de personnes… etc.)

Pour moi, le repas idéal est une fête. Entre amis proches, avec des personnes de tous les âges : des plus âgés aux plus jeunes. Tout le monde met la main à la pâte, où le temps de cuisson fait partie de la fête, où chacun apporte quelque chose de chez lui. Avec des haut-parleurs pour écouter du reggae, du funk, et de la soul. Quand c'est l'été, j'aime préparer des aubergines à la parmigiana. En hiver, je prépare des tortellini faits à la main avec un bouillon chaud et réconfortant.

                                                                                                                                                                                                             entretien de Daniele De Michele, par Pauline Lattaque,
                                                                                                                                                                                                                                                                                       mars 2024