Ulla von Brandenburg

Portrait Ulla von Brandenburg ©Helge Mundt

Ulla von Brandenburg est une artiste allemande née à Karlsruhe. Après une formation en scénographie à Karlsruhe et une brève incursion dans le milieu théâtral, elle se forme à la Hochschule für Bildende Künste à Hambourg. Son œuvre se caractérise par la diversité des supports et des médiums (installations, films, aquarelles, peintures murales, collages, performances…) qui se répondent les uns aux autres et qu’elle met en scène en fonction des espaces d’exposition. Maîtrisant parfaitement les codes de la scénographie, nourrie de littérature, d’histoire des arts et d’architecture mais aussi de psychanalyse, de spiritisme et de magie, elle emprunte aussi bien aux rituels ésotériques et aux cérémonies populaires qu’aux mécanismes et aux codes du théâtre pour explorer la construction de nos structures sociales. Masques, costumes, décors et accessoires relevant de différentes traditions populaires lui permettent ainsi de transgresser symboliquement les normes et les hiérarchies en mêlant subtilement la réalité et les apparences dans des mises en scènes théâtrales.

Reconnu internationalement, son travail fait l’objet de nombreuses expositions personnelles, comme récemment au MRAC à Sérignan (2019), à la Whitechapel Gallery à Londres (2018), au Musée Jenisch Vevey en Suisse (2018), au Kunstmuseum de Bonn (2018), au Perez Art Museum de Miami (2016) ou encore au Contemporary Art Museum de Saint Louis (2016). Ses œuvres font partie de collections prestigieuses comme celle de la Tate Modern à Londres, du Mamco à Genève, du Centre Pompidou à Paris ou du Mudam à Luxembourg. Son travail est représenté par la galerie Art : Concept à Paris, la galerie Pilar Corrias à Londres, la Produzentengalerie à Hambourg et la galerie Meyer Riegger à Karlsruhe.

Spectacle associé

Entretien

Ulla von Brandenburg, artiste allemande de renommée mondiale est à la fois scénographe, plasticienne, metteuse en scène, cinéaste et performeuse. Son installation Das Was Ist sera visitable à l’atelier 2 du théâtre, dans le cadre du temps fort SCÉNO. Cette invitation marque le début d’une association au long cours entre le théâtre Garonne et les Abattoirs autour du travail de Ulla von Brandenburg.

 

Très éclectique, votre travail dans le domaine des arts plastiques cultive un lien étroit avec le champ des arts scéniques, en particulier le théâtre. Vous présentez vos installations comme des « pièces de théâtre pénétrables ». Comment votre pratique s’est-elle forgée ?

Ulla von Brandenburg – J’ai d’abord étudié la scénographie, à la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe. J’aimais beaucoup l’enseignement, très pluridisciplinaire, dispensé dans cette école, toute nouvelle à l’époque (elle a ouvert en 1992 – NDR). J’y ai aussi étudié la peinture, les arts multimédia… Durant mes études, j’ai pu travailler dans des théâtres, notamment comme stagiaire scénographe à l’Opéra de Francfort et comme assistante costumière au Burgtheater de Vienne. J’ai poursuivi ma formation de scénographe dans une autre école, à Hambourg. Quand j’ai eu la possibilité de réaliser ma première scénographie, j’ai pris conscience que le ou la scénographe n’a pas de pouvoir de décision mais doit se mettre au service de la mise en scène, lui fournir ce dont elle a besoin. Cette activité m’est apparue subitement beaucoup moins artistique, et puis j’avais envie de pouvoir décider. J’ai modifié mon cursus pour m’orienter vers le diplôme Arts plastiques. Ce champ m’a vite semblé nettement plus ouvert, je m’y suis sentie beaucoup plus libre. Dans un premier temps, j’ai développé un travail artistique en niant mes expériences du côté de la scène mais, petit à petit, tout cet acquis lié au théâtre et à la scénographie est réapparu dans ma pratique.

Vos œuvres mobilisent une grande variété de moyens d’expression et de supports : installations, films, dessins, peintures murales, découpages, sculptures, praticables...

Ulla von Brandenburg – Cela répond à un désir d’émancipation. Je n’ai pas envie de me restreindre à une discipline ou une pratique particulière. Pourquoi ne pas faire de la céramique, de la lithographie, etc ? Je trouve qu’il y a beaucoup trop de limites dans notre monde et de gens pour garder ces limites. J’essaie plutôt de les dépasser. À l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe, où j’enseigne, j’encourage mes élèves à en faire autant.

Le tissu en général occupe une place importante dans votre processus créatif. Cela tient-il au rapport physique avec la matière ?

Ulla von Brandenburg – Oui, en partie. Le tissu me plaît par son côté malléable, mouvant, extrêmement flexible. J’aime aussi ce matériau parce qu’il permet de faire plein de choses. On peut créer des habits, des draps, des rideaux… On peut également concevoir des espaces, de toutes tailles, ou camoufler des espaces existants pour proclamer d’autres espaces. Le geste de création avec le tissu prend alors un aspect ritualisé, ce qui rapproche de l’univers théâtral.

En janvier 2026, vous allez présenter au théâtre Garonne l’installation Das Was Ist, dans le cadre du nouveau festival dédié à la scénographie. En quoi consiste cette œuvre ?

Ulla von Brandenburg – À l’origine, je l’ai créée pour le Kunstmuseum de Bonn, en 2018. Elle se compose de six grandes toiles mouvantes aux couleurs différentes, très vives, chacune percée d’un large trou qui change d’axe. Elle induit une forme d’appropriation physique par le public : on peut pénétrer l’installation en enjambant le bas de chaque trou, passer ainsi d’un espace au suivant et voir un de mes films en 16mm à la fin du parcours. Le trou dans chaque toile constitue bien sûr une référence à la caméra et à l’ouverture d’optique. C’est un peu comme si on entrait dans un œil ou dans le boîtier d’une caméra. Le premier film que j’ai intégré dans Das Was Ist donnait à voir la reconstitution d’une exposition présentée à Londres, à la Whitechapel Gallery, en 1973. C’était une manière d’adresser aussi un clin d’œil au design pop des années 1970.

Depuis, on a pu découvrir cette installation notamment dans Le Milieu est bleu, l’exposition que vous avez déployée au Palais de Tokyo en 2020.

Ulla von Brandenburg – Exact. C’était une autre version, plus grande, réalisée spécialement pour le Palais de Tokyo. Il y avait une partie  pénétrable par le corps et une partie – qui volait dans l’air – pénétrable seulement par le regard et par l’esprit, traversant tous les trous. L’installation revêt ainsi une dimension évolutive. Conçue pour s’adapter au lieu où elle est présentée, elle peut – dans la mesure du possible – se transformer à chaque fois. Au théâtre Garonne, elle devrait apparaître dans la version initiale, présentée à Bonn, avec un film 16mm intitulé Un bal sous l’eau, que j’ai réalisé récemment. On y voit une petite troupe d’acteurs et d’actrices qui répètent dans un théâtre puis qui montent sur scène en évoquant l’utopie d’une vie meilleure sous l’eau. Je trouve que ce film convient bien ici puisque l’installation vient s’inscrire dans un théâtre.

Et un théâtre au bord de l’eau, qui plus est (sourire). Vous allez voguer durant trois ans entre le Garonne et les Abattoirs. Que va produire ce compagnonnage ?

 Ulla von Brandenburg – À l’heure où nous parlons, tout n’est pas encore déterminé. Une chose est sûre : durant cette période, l’identité graphique des supports de communication du théâtre va s’inspirer d’une de mes œuvres. Pour le reste, il devrait y avoir des temps de rencontre avec le public, des ateliers, des interventions pédagogiques. J’aimerais beaucoup aussi pouvoir proposer une ou plusieurs performance(s) mais il est encore trop tôt pour annoncer quoi que ce soit. En tout cas, cette collaboration me plaît beaucoup et me stimule. Elle représente une sorte de retour aux sources : je suis sortie du théâtre pour concevoir des formes théâtrales dans des musées et ici je reviens vers le théâtre pour y proposer ce que je fais dans les musées. Tout un jeu de décalage s’opère dans ce cheminement car les règles, les modes d’activation du regard et les temporalités ne sont pas les mêmes dans les salles de spectacle et dans les lieux d’art. Entre le théâtre Garonne et les Abattoirs différents modes d’activation seront possibles. Je suis très curieuse de voir ce que ces allers-retours vont générer.

Propos recueillis par Jérôme Provençal