El Conde de Torrefiel

"Nous sommes des gens profondément joyeux et drôles. On ne fait que se marrer, mais dans la déconne, il faut ouvrir des espaces pour se poser des questions. Nos pièces marquent ce contraste et sont le contrepoint de notre optimisme."
Pablo Gisbert et Tanya Beyeler

Le nom d’El Conde de Torrefiel (Le comte de Torrefiel) est le nom de la rue dans laquelle Pablo Gisbert est né. C’est surtout le nom de la compagnie qu’ont fondée Pablo Gisbert et Tanya Beyeler en 2010. Ce titre aristocratique donné à leur compagnie est un pied de nez au peu de ressources dont ils disposaient à leurs débuts, à leur condition d’artistes pauvres ; c’est aussi la volonté de ne pas oublier qu’ils viennent d’une classe modeste. Derrière ce nom se cache aussi une anecdote historique qu’ils s’amusent à lier (avec pertinence) à la nature de leur travail : le premier comte de Torrefiel était un amant de la reine Isabelle II d’Espagne, il serait le père caché du roi Alfonse XII, ce qui ferait de lui un roi illégitime. Ça tombe bien car El Conde de Torrefiel fait du « théâtre bâtard », un mélange de différentes pratiques, un théâtre pluridisciplinaire et indiscipliné : toujours en mouvement, insaisissable, auquel on ne collera jamais aucune étiquette et qui se défend de toute utilité.
C’est à la croisée du théâtre et de la performance que se situe le travail de Pablo Gisbert et Tanya Beyeler. Ils partagent ensemble cette complémentarité précieuse leur permettant dialogue et confrontation, chemin nécessaire pour faire jaillir au plateau cette humanité insondable. Pour chaque pièce, ils s’entourent de beaucoup de personnes et d’artistes venu.es de tous bords, composant ainsi leurs équipes artistiques.  Le fait même de se réunir autour d’un projet est pour eux déjà un acte de création. Seuls mots d’ordre : confiance et émulation. Le point de départ se cantonne toujours à des questions qu’ils se posent en tant que citoyen.es, c’est pourquoi El Conde de Torrefiel parle à chacun.es d’entre nous, sous des angles différents. Leur théâtre réinstaure le 4e mur pour permettre un retour à l’érotisme : ils tentent de ne pas toucher directement le public mais de le titiller pour lui rendre ce rôle de témoin actif, conscient de ce qu’il reçoit, au plus proche de ses sensations et impressions. Leur théâtre fait état du monde contemporain mais ne produit aucune pensée dogmatique, aucune analyse politique car, selon eux, « les œuvres ne doivent pas se fermer en postulant, mais s’ouvrir en interrogeant ». C’est un théâtre de l’émotion, de la poésie, du présent où toutes les subjectivités peuvent exister librement.

Pauline Lattaque