Pierre-Yves Macé – Une tribune

« Cette musique que l’on dit « contemporaine » mourra (comme toutes les autres) si elle ne laisse pas la possibilité à n’importe qui de venir à sa rencontre. »

Le microcosme de la musique dite « contemporaine » a connu une petite secousse suite à la parution dans Le Monde du 01 mai 2022 d’une tribune signée du compositeur Raphaël Cendo [à lire en bas de page]. Celui-ci tance un milieu musical en état de « mort cérébrale » pour avoir « péché par arrogance » et par « consanguinité ». Le constat est percutant, mais l’argumentation s’affaiblit lorsqu’elle circonscrit le problème à la politique culturelle française et érige l’Allemagne en modèle alternatif vertueux. Une seconde tribune, parue en réponse dans le même quotidien, signée par un collectif de jeunes compositrices et compositeurs, est venue à bon droit dissiper ces vieilles lunes. Mais tout entière à son optimisme un brin béat (il y est question de « salles pleines de curiosité », à défaut d’être pleines de spectateurs), celle-ci omet de répondre à la question centrale : qui nous écoute ? Qui se soucie de ce que nous faisons ? Et qui s’inquièterait de notre disparition si demain tout s’arrêtait ?

La question est pour moi celle de la part d’inconnu qui doit subsister dans toute relation artistique. Quelque chose (mais quoi ?) s’est produit au cours des dernières décennies, qui a transformé la musique en art-doudou, celui que l’on transporte avec soi et qui nous rassure par son éternelle répétition du même. L’industrie du streaming avec ses playlists sur mesure a poussé à son degré ultime la sécularisation et la domestication de cet art jadis associé au sacré. Qui consent aujourd’hui à se rendre à un concert sans connaître la musique qui y sera jouée, sans l’avoir écoutée en ligne au préalable et sans même savoir à quel « genre » elle appartient ? Personne, ou presque. Or, cette musique que l’on dit « contemporaine » mourra (comme toutes les autres) si elle ne laisse pas la possibilité à n’importe qui de venir à sa rencontre. Il faut travailler à ce genre de circulations. C’est là, pour moi, tout le sens de mon association avec le théâtre Garonne pour les deux saisons qui viennent.